Vers 1150, Hildegarde von Bingen, quatre siècles avant Copernic

Copernic par Jan Matejko []
Copernic par Jan Matejko [1]
On attribue la paternité de l’héliocentrisme au chanoine polonais Copernic qui publia (de manière posthume) De Revolutionibus orbium coelestium où il proposa une hypothèse géométrique du Cosmos avec le Soleil au centre. Il mentionna dans son ouvrage d’autres précurseurs qui avaient imaginé le mouvement de la Terre, comme les penseurs pythagoriciens antiques tel Philolaus (Ve siècle av. J.-C.), ou plus tard Aristarque de Samos (IIIe siècle av. J.-C.) et Martianus Capella (Ve siècle ap. J.-C.). En Inde, mais aussi dans le monde arabe, on a retrouvé des traces de la pensée héliocentrique avant Copernic. En Europe occidentale, la pensée dominante était le géocentrisme, développée par Aristote, Ptolémée, et défendue pendant toute l’ère chrétienne par l’Eglise. Copernic et Galilée apportèrent ensuite des preuves décisives. Peu de femmes dans toute cette histoire et pourtant…

Hildegard von Bingen

Hildegard von Bingen
Hildegard von Bingen [3]
Un ouvrage récent [2] évoque en quelques lignes que dès le XIIe siècle, une abbesse germanique avait émis l’hypothèse d’un système héliocentrique et d’une gravitation universelle. Quelques lignes suffisantes pour attiser la curiosité et essayer d’en savoir un peu plus sur cette dame. Hildegarde s’est intéressée aussi bien aux questions sur la Religion que celles sur la Nature, étudiant attentivement l’organisation des plantes, des animaux et des hommes. Elle a légué des ouvrages impressionnants traitant aussi bien de musique, de ses visions (et de ses commentaires associés) que de médecine ou de remèdes à certaines maladies. Ses deux livres majeurs concernant les sciences sont Physica, sive Subtilitatum diversarum naturarum creaturarum libri novem, sive Liber simplicis medicinae (ou plus simplement Physica) qui se veut être un livre simple sur la médecine et Causae et curae, sive Liber compositae medicinae (Causae et Curae) davantage centré sur les maladies et leurs remèdes par les plantes. Véritable Lenoard de Vinci au féminin, elle a visiblement connu un regain d’intérêt au début des années 80 auprès des adeptes des médecines douces.
Les quatre éléments
Les quatre éléments

Hildegarde adhérait et défendait la théorie des quatre éléments et nombre de représentations que l’on trouve dans ses ouvrages montre l’importance qu’elle attachait au partage en quatre du Cosmos. Pour rappel, la théorie des quatre éléments nous est connue par Empédocle d’Agrigente (Ve siècle av. J.-C.) qui évoque Thalès de Milet (le fameux Thalès et son théorème vu au collège) comme premier penseur de cette théorie. Aristote (le grand avocat du géocentrisme) soutenait lui aussi cette idée des quatre éléments. Mais ce qui nous importe c’est cette fameuse hypothèse de l’héliocentrisme…

A la recherche de la source

A Hildegarde von Bingen, on trouve sur la fameuse encyclopédie en ligne des pages assez fournies (la version anglaise est mieux que la française comme souvent) mais au chapitre des travaux scientifiques, hormis ses talents de botaniste, rien concernant la physique. Qu’est-ce qui a bien pu faire écrire (ou dire) à cette abbesse que la Terre tournait autour du Soleil? D’ailleurs l’a t-elle vraiment écrit, dit ou pensé ? Pour qu’un texte traverse neuf siècles, il lui a fallu être recopié, l’imprimerie n’existant pas et la conservation des textes étant précaire. Or, on apprend à la lecture de l’ouvrage remarquable : « Le manuscrit perdu à Strasbourg, enquête sur l’oeuvre scientifique de Hildegarde » de Laurence Moulinier que la transmission du savoir a été difficile. L’auteur s’interroge sur l’authenticité de certains passages des œuvres léguées par Hildegarde (qui a eu deux secrétaires) et sur des modifications apportées a posteriori ou encore certaines traductions modifiant le sens premier [4]. L’oeuvre originelle n’a pas été écrite directement par Hildegarde mais par un nommé Volmar puis un autre moine Guibert de Gembloux se fit secrétaire et prit le relais à la mort du premier. L’abbesse veillait cependant qu’ils copient exactement son discours bien qu’elle accordât à Guibert le droit de corriger ses derniers écrits et d’en polir le style [5]. Quoiqu’il en soit, il fallut attendre une cinquantaine d’années après la mort de l’abbesse pour que soit écrit un ouvrage unique qui fût conservé à Copenhague Beatea Hildegardis causae et curae. On ne sait trop pourquoi cet ouvrage a ensuite été partitionné lors de sa traduction intégrale en 1903. Le bénédictin français (puis cardinal) Jean-Baptiste Pitra (1812-1889) proposa une première traduction partielle sur laquelle s’appuie le docteur Albert Battandier dans un article sur la vie d’Hildegarde paru dans une revue de 1883 [6] et où on lit :

Au chapitre du Soleil, Hildegarde nous montre cet astre au milieu du firmament et retenant par sa force les étoiles qui gravitent autour de lui, les nuages qui flottent dans l’air, comme la terre soutient toutes les créatures qui l’habitent.

A la lecture de ces lignes, la curiosité est encore attisée mais pas satisfaite. Même écho dans le numéro 16 de la revue Histoire National Geographic (ancêtre de la revue Histoire & Civilisations) [7] qui consacre deux doubles pages à l’abbesse :

On peut y déceler l’intuition de l’héliocentrisme et celle de la circulation du sang.

C’est assez maigre pour se faire une véritable idée de ce qu’Hildegarde a véritablement pensé.

Le feu sacré

L'univers d'Hildegarde [2]
L’univers d’Hildegarde [2]
En plus d’être un des quatre éléments de la théorie antique, le feu, dans la pensée médiévale, est une force qui peut représenter aussi bien les flammes de l’Enfer que Dieu lui même, symbole de lumière. Pour Hildegarde, le feu est clairement le symbole du divin [8] :

Ce dieu, en effet, il est le feu qui vit, le feu par lequel les âmes respirent, le feu qui existait avant le commencement, le feu qui est l’origine et le temps des temps

Aristote avait divisé le Cosmos en deux parties : d’un côté le monde sublunaire en deça de l’orbite de la lune et où les mouvements étaient imparfaits, de l’autre côte, au-delà de cette orbite, le monde supralunaire où les astres se meuvent sur des cercles. Hildegarde bien que fidèle à cette vision apporte une légère modification et organise le Cosmos autour de trois zones égales : le premier cercle (et le plus grand) est celui du feu , vient celui de l’éther (qui remplit l’espace entre le soleil et la terre) et enfin celui de l’air lourd (donc à la surface de la terre). La Terre est donc au centre de la Cosmologie d’Hildegarde et pas de trace de l’héliocentrisme…

Pourtant il y a bien quelque chose de novateur dans la pensée d’Hildegarde : c’est le rôle essentiel du feu. Pour elle, Dieu a mis le feu en l’homme, créant l’âme grâce aux quatre élements. Issu de la terre dans la tradition biblique, Hildegarde dit :

le feu l’excita, l’air l’anima et l’eau le pénétra de part en part. L’âme de l’homme est ignée. [9]

Le feu n’est donc pas seulement sur ce cercle lointain, il est au centre de l’homme et donc au centre de la Cosmologie d’Hildegarde. De là à dire qu’elle ait parlé de l’héliocentrisme et de la gravitation…

Ps: J’ai beau chercher, je n’ai rien trouvé directement ou dans les commentateurs récents d’Hildegarde quelque chose qui se rapproche de l’héliocentrisme. A part la place importante qu’elle accorde au feu, véritable pivot de sa pensée, je ne vois pas ce qui fait dire qu’elle aurait pensé l’héliocentrisme. Si un lecteur éclairé passe par là, je suis preneur.


Sources :

[1] Wikipedia, Nicolas Copernic
[2] Gérard Chazal, Les femmes et la sciences, page 26, ed. Ellipses poche, 2006.
[3] Wikipedia, Hildegard von Bingen
[4] Laurence Moulinier, Le manuscrit perdu à Strasbourg, page 13.
[5] Revue des questions historiques, 1883, page 400
[6] Revue des questions historiques, 1883, page 421
[7] Histoire National Geographic, 16, juillet-août 2014, page 8-11
[8] Le manuscrit perdu à Strasbourg, Laurence Moulinier, page 152, cit. Hild. V. Bingen, Le livre des oeuvres divines, dixième vision page 187.
[9] Le manuscrit perdu à Strasbourg, Laurence Moulinier, page 153.

One Reply to “Vers 1150, Hildegarde von Bingen, quatre siècles avant Copernic”

  1. Bonjour,

    Je suis justement au chapitre du livre de Pierre Dumoulin « Hildegarde de Bingen » à la page 93 où il fait mention de la vision de l’univers selon l’abbesse.
    J’ai pensé un court moment qu’elle aurait pu avoir une vision de la manière dont le système solaire est structuré, le soleil au centre et la terre en mouvement autour de lui, soit quelques siècles avant Copernic, et qu’il aurait pu s’en inspirer.
    Il faudrait effectivement qu’un spécialiste des textes de l’abbesse nous dise ce qu’il en est. Qu’a t’elle écrit ou fait écrire exactement. Peut-être a t’elle lu aussi les textes anciens des penseurs pythagoriciens….

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