Voltaire scientifique

Voltaire []
Voltaire [1]
Le nom de Voltaire nous évoque évidemment le philosophe des Lumières, le défenseur de la liberté de pensée ou encore l’écrivain de Candide, mais on pense un peu moins, voire pas du tout, au scientifique qu’il fût. On doit pourtant à François-Marie Arouet (le vrai nom de Voltaire) un rôle essentiel dans le développement des sciences et dans sa diffusion.  Tout comme Goethe, le français s’est essayé à tous les genres de pratiques, littéraires comme scientifiques, et vaut certainement un peu plus que la maigre ligne qu’on
trouve sur l’encyclopédie en ligne [1].L’influence anglaise
Isaac Newton [2]
Isaac Newton [2]

C’est en Angleterre que se trouve en germe la relation que va entretenir le français avec les sciences. Exilé à Londres pour s’être fâché avec une des plus puissantes familles du royaume français, Voltaire assiste le 28 mars 1727 aux funérailles en grandes pompes de Newton à l’abbaye de Westminster dont le cercueil fut porté par six comtes et ducs. Le contraste avec l’expérience que Voltaire l’écrivain vient de faire avec l’aristocratie française l’interroge. Le physiologiste allemand Emil du Bois-Reymond, constatant l’avance intellectuelle prise par l’Angleterre pour reconnaître ses savants, écrit en 1868 [3] :

La marche de l’esprit humain paraît être soumise à une loi, qui est démontrée avec plus ou moins de clarté par l’histoire de la Grèce, de Rome, de l’Italie, de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne, à savoir qu’un peuple produit d’abord des poètes, ensuite des métaphysiciens et des philosophes, enfin des savants.

Autorisé à rentrer en France en 1728, il devient un fervent adepte des principes de Locke et convertit la jeune marquise du Châtelet au newtonisme. Elle assure la traduction des Principia et en donne un commentaire algébrique qui ne sera publié qu’après la mort de la marquise en 1759. On doit cependant aux frères Minimes de Rome, Jacquier et le Seur la primauté de la traduction des Principia de Newton en 1729.

Sa stimulation intellectuelle : Emilie du Châtelet

La marquise du Châtelet [1]
La marquise du Châtelet [1]
En 1733, Voltaire quitte la vie agitée de Paris pour se réfugier chez son amie et maîtresse, la marquise Emilie du Châtelet, au château de Cirey en Champagne, et il se consacre entièrement à la poésie, à l’histoire et à la philosophie.  Madame du Châtelet est une femme brillante en mathématiques et en physique, véritable exception de son genre dans ce XVIIIe siècle. Pétrie de qualité, d’intelligence et de charme, Emilie qui a 12 ans de moins que Voltaire, lui offre un environnement idéal, stimulant l’intellect de l’homme qui va avoir 40 ans. Au château de Cirey, il n’est pas rare de rencontrer Johann Samuel Kœnig, mathématicien allemand, professeur de la marquise et futur membre de l’académie des sciences en 1740, Pierre-Louis Moreau de Maupertuis, philosophe et physicien français, membre de la Royal Society brittanique et diffuseur des idées de Newton en France, ou encore Jean Bernoulli, mathématicien suisse qui développe le calcul exponentiel, contradicteur de Newton et professeur du grand mathématicien Euler. Entouré d’hommes et de femmes de sciences, Voltaire est irrémédiablement poussé à l’étude des mathématiques et de la physique. Voltaire n’a pas encore pensé à écrire sur Newton et c’est lors d’une lecture des entretiens qu’a un jeune vénitien Algarotti intitulé Il Newtonanismo per le donne, dans le pur style littéraire de ce qui se fait dans les cercles des salons parisiens que Voltaire a l’idée d’écrire les Eléments de la philosophie de Newton. Voltaire ne propose pas ici une traduction des Principia mais un essai pour développer les idées de Newton en optique et astronomie. Il rend un hommage appuyé à Mme du Châtelet dans l’épitre didacatoire de l’ouvrage [4].

Madame,

Lorsque je mis pour la première fois votre nom respectable à la tête de Eléments de philosophie, je m’instruisais avec vous. Mais vous avez pris depuis un vol que je ne peux plus suivre. Je me trouve à présent dans le cas d’un grammairien qui aurait présenté un essai de rhétorique ou à Démosthène ou à Cicéron. J’offre de simples Éléments à celle qui a pénétré toutes les profondeurs de la géométrie transcendante, et qui seule parmi nous a traduit et commenté le grand Newton.

La conservation de la force

René Descartes [4]
René Descartes [5]
Mais Voltaire ne se cantonne pas à promouvoir les travaux du physicien anglais. Il s’attelle à une conjecture proposée par Descartes comme quoi :
« Dieu maintient toujours constante la somme des mouvements existants dans le monde, comme la masse de la matière ».
Cette hypothèse, déjà en germe dans la Grèce antique chez Anaxagore, est véritablement prouvée par Lavoisier concernant la conservation de la masse et plus tard encore par Mayer (voir billet précédent) concernant l’énergie. Descartes a fait l’erreur d’énoncer la constance des mouvements alors qu’il s’agissait de la quantité de mouvement (le produit de la masse par la vitesse), erreur corrigée par Leibniz en 1686 dans les Acta eruditorium et qu’il appelle force vive. Si Madame du Châtelet se range du côté de Leibniz, Voltaire défend l’idée de Descartes et, en 1741, il adresse à l’Académie des Science un mémoire intitulé Doutes sur la mesure des forces motrices. Il rejette la théorie de la conservation de la force développée par Leibniz parce que dans le choc de corps non élastiques, il y a perte de force tandis que les animaux en produisent. Cette question ne sera tranchée qu’après les études de Mayer un siècle plus tard.
La nature de l’air et de la chaleur
Leonhard Euler [6]
Leonhard Euler [6]

Autre fait d’arme qui prouve l’activité scientifique de Voltaire, en 1738, l’Académie des Sciences propose un concours avec comme thème : La question de la chaleur et sa propagation. Voltaire décide de concourir, ainsi que la marquise. Aucun des deux ne gagne le premier prix qui fût remporté par le mathématicien Leonhard Euler mais ils reçoivent la mention honorable. Euler y développe une théorie qui s’avèrera fausse par la suite :

La matière ignée, différente de l’éther, est contenue dans les molécules des corps combustibles.

Cette théorie, que l’on nomme ensuite phlogistique, sera réfutée quelques décennies plus tard par Lavoisier. Euler a également proposé une équation de propagation de l’onde de chaleur dans l’air. Voltaire de son côté fait quantité d’expériences avec tout le matériel possible de l’époque. Il mesure précisément des masse de fer avant et après combustion et tente d’expliquer l’augmentation de la masse prise par le métal par l’adjonction d’une matière tirée de l’air qui n’est pas pour lui un élément mais un mélange de vapeurs. Il a ici une cinquantaine d’années d’avance sur Lavoisier qui prouvera que l’air est un mélange et que des oxydes métalliques se forment par combustion.

Voltaire refuse l’autorité, ne s’appuie que sur ses propres observation, n’hésite pas à avouer son ignorance et à reconnaître la limite de son esprit. Un véritable physicien.

Car le doute doit souvent être en physique, ce qu’est la démonstration en géométrie : la conclusion d’un bon argument.


Sources :
[1] Wikipedia, Voltaire
[2] Wikipedia, Isaac Newton
[3] Revue des cours scientifiques de France et de l’étranger, 1867-1868, page 538
[4] Voltaire, Eléments de la philosophie de Newton, Oeuvres complètes, tome 22.
[5] Wikipedia, René Descartes
[
6] Wikipedia, Leonhard Euler

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