1884, Greenwich ou le temps anglais

Observatoire royal de Greenwich
Observatoire royal de Greenwich [1]
La référence du temps universel est prise à partir d’un point de la banlieue de Londres, Greenwich, et on lit souvent sur nos écrans GMT (Greenwich meridian time). Pourquoi le méridien qui sert d’origine pour repérer les heures sur le globe est celui passant par l’observatoire de Greenwich en Angleterre? C’est en 1884, lors d’un congrès à Washington réunissant des délégations de scientifiques du monde entier que s’est décidée l’affaire. Mais on va le voir, ce ne fut pas si simple et a cristallisé les vieux ennemis que sont la France et l’Angleterre.Une histoire subjective 

Très tôt dans l’Histoire, la question du choix d’un méridien a été posée. Pour se repérer dans l’espace à la surface du globe, nous n’avons besoin que de deux nombres : la latitude et la longitude. La latitude utilise comme ligne de référence l’équateur, cercle imaginaire qui sépare naturellement la Terre en deux hémisphères. La longitude utilise aussi un cercle imaginaire mais il passe par les pôles géographiques de la Terre. Or, il existe une infinité de cercles passant par les pôles. Comment déterminer celui qui sera le meilleur pour nous repérer?

Marin de Tyr [2], géographe du 1er siècle, avait pris pour point de départ des longitudes l’extrémité Ouest du monde connu à l’époque : les îles Fortunées. Ces îles étaient situées au large de l’Afrique. Elles avaient des terres abondantes et ses habitants étaient libres de tout travail. Le problème était que l’on ne savait pas exactement où étaient ces îles (et on ne le sait toujours pas), ce qui compromettait l’entreprise des premiers géographes. Au Moyen-Âge, ce sont des considérations politiques ou religieuses et non scientifiques qui ont dicté aux Hommes où placer le méridien. Chaque pays édifie sa capitale comme centre du monde où passe le méridien initial et la confusion est totale. Ce n’est véritablement qu’au début du 17ème siècle qu’un méridien commun fait consensus et on le doit à Richelieu.

Carte d'Europe dressée en 1759 basée sur le méridien d'El Hierro.
Carte d’Europe dressée en 1759 basée sur le méridien d’El Hierro [3].

A cette époque, les espagnols et les portugais dominent les mers et les côtes de l’Afrique et de l’Amérique. Si ces deux pays s’affrontent pour étendre leurs colonies, ils s’unifient pour combattre navires français et anglais qui s’aventurent trop au Sud. Richelieu propose de délimiter l’océan avec des lignes imaginaires et propose une zone de neutralité internationale. Le tropique du Cancer constitue la ligne Sud de cette zone tandis que le méridien passant par les îles de Fer (île d’El Hierro sur les îles Canaries) serait la limite Ouest. Au-delà de ces limites, la loi du plus fort sur les mers l’emporte. Richelieu organise cette zone de protection pour permettre à la marine française de se développer à l’abri des assauts des espagnols et des portugais. Si Richelieu a manœuvré de façon politique pour la réalisation de ce méridien, on constate qu’en plus de ne pas associer une nation au méridien, ce méridien a le mérite de faire honneur aux premiers efforts qu’avaient réalisé les géographes de l’Antiquité.
Méridien de Paris, salle Cassini, 61 avenue de l'Observatoire (14ème arrondissement)
Méridien de Paris, salle Cassini, 61 avenue de l’Observatoire (14ème arrondissement) [4]

C’est avec l’avènement du chemin de fer qui fait franchir des frontières rapidement aux hommes du 19e siècle que la nécessité d’une heure universelle se fait jour et donc du choix d’un méridien initial universel. Chaque pays utilise à l’époque un méridien qui lui est propre. Les américains se repèrent par rapport au méridien de Washigton, les allemands à celui de Berlin, les français à  celui Paris (image), les italiens à Rome, les russes, à Pulkowa etc.

 

Les dessous d’une négociation

Une première réunion préparatoire [5], la conférence géodésique, a lieu à Rome le 15 octobre 1883 et elle préconise d’employer le méridien de Greenwich qui est déjà largement utilisé, en particulier par les marins anglais, mais aussi les marins américains et russes. Cette première conférence ne balaye pas non plus le méridien de Paris pour plusieurs raisons : le français est l’idiome le plus répandu dans le monde à cette époque-là et l’Observatoire de Paris est moins sujet aux variations géologiques que celui de Greenwich! Ainsi Paris et Greenwich repartent dos à dos de Rome. Mais notez ce petit paragraphe dans la conclusion du rapport de cette conférence :
La conférence espère que, si le monde entier s’accorde sur l’unification des longitudes et des heures, en acceptant le méridien de Greenwich, comme point de départ, la Grande-Bretagne trouvera dans ce fait un motif de faire un nouveau pas en faveur de l’unification des poids et mesures, en adhérant à la convention du mètre du 20 mai 1875.
En donnant la référence du temps aux anglais, l’ensemble de la communauté scientifique européenne espère leur faire adopter les autres références d’unités qui sont d’origine française (le mètre, le kilogramme…), et dont les étalons sont conservés au Pavillon de Breteuil à Sèvres au sein du Bureau International des Poids et Mesures. Mais les français n’entendent pas céder sur le méridien.

 

La conférence de Washington

Jules Janssen
Jules Janssen [7]
Le 1er octobre 1884 se tient donc à Washington la conférence internationale [6] qui acte où positionner le méridien référent pour définir un temps universel et unifier les longitudes. Dans son compte-rendu, l’académicien des sciences français Pierre Jules Janssen s’étonne de la présence de nombreuses délégations de petits états amis des Etats-Unis et donc de l’Angleterre. Dès l’ouverture de la conférence, un délégué américain propose le méridien de Greenwich comme méridien universel. Cette attitude directe, d’aller à l’essentiel et s’abroger de discussions sur la pertinence du choix géographique du méridien offusque les français. Pour résumer les positions (si l’on se fie au rapport français), les français défendent l’idée d’un méridien pris pour des raisons scientifiques avec un souci de neutralité des nations. Ils proposent deux solutions lors de la conférence : un méridien passant par les Açores et un méridien passant au niveau du détroit de Béring:
« dans l’immense nappe d’eau qui sépare l’Amérique de l’Asie, vers ces confins du Nord, où le nouveau monde donne la main à l’ancien ».
Les anglais et les américains prennent le parti d’un méridien utile pour le commerce, or celui de Greenwich est le plus répandu pour le commerce maritime, la question est donc tranchée. Arguments et contre-arguments fusent dans l’assemblée mais tout est déjà joué d’avance. Par exemple, Luis Cruls de l’observatoire de Rio-de-Janeiro et délégué du Brésil a reçu ordre de son empereur de voter pour la France. Juan Valera, missionné par le gouvernement espagnol a reçu l’ordre de voter en faveur de l’Angleterre etc. Au vote final, 22 votes vont à Greenwich quand 3 s’y opposent ou s’abstiennent (France, Brésil, Saint Domingue) [8]. La France n’adoptera l’heure anglaise comme référence universelle qu’en 1911. Cependant, le général britannique Richard Strachey fait l’annonce que l’Angleterre a demandé à rejoindre la convention du mètre, traité international qui fixe les unités reconnues internationalement et y adhère en 1884. Si les anglais ne comptent toujours pas leurs distances en mètre chez eux, le mètre est effectivement reconnu comme unité de référence dans le système international d’unités. Ainsi si la référence universelle du temps fut donnée aux anglais, les références de l’espace et des masses fut française. Les vieux ennemis pouvaient s’accorder et bientôt Einstein conciliera même l’espace et le temps dans sa théorie de la relativité, mais c’est une autre histoire.

Sources :
[1] Wikipedia, L’Observatoire royal de Greenwich
[2] Wikipedia, Marin de Tyr
[3] Wikipedia, El Hierro
[4] Wikipedia, Le méridien parisien (en anglais)
[5] La Revue Scientifique, édition du premier semestre 1884, page 594.
[6] La Revue Scientifique, édition du premier semestre 1885, page 577.
[7] Wikipedia, Pierre Jules César Janssen
[8] Wikipedia, la conférence internationale sur le méridien (en anglais)

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