Episode I : 1915, Le mystère Sirius B

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Dans une galaxie pas très lointaine, puisqu’il s’agit de la nôtre, les étoiles doubles, comme celles qui éclairent la planète Tatooine dans Star Wars, sont nombreuses. Sirius A et B, situé dans la constellation du Grand Chien dans la bordure extérieure, est l’un de ces systèmes. C’est cette étoile binaire, et non l’Étoile de la Mort, qui va révolutionner notre compréhension de la mort des étoiles.

Nous avons dans un précédent article parlé des étoiles noires, prologue de cette nouvelle trilogie dans laquelle nous allons faire la connaissance de l’Empereur Eddington et du jeune padawan Chandrasekhar. Mais avant d’évoquer leur épique combat de sabre laser dans un prochain article, découvrons aujourd’hui le phénomène qui fut à la source de leur conflit : les naines blanches.

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Nous sommes en 1844 et un petit quelque chose semble perturber Sirius, étoile la plus brillante de l’hémisphère nord et septième étoile la plus proche du Soleil (8,6 années-lumière). Friedrich Wilhelm Bessel, maître Yoda de la physique allemande, constate des irrégularités périodiques dans la trajectoire de Sirius A. Lorsqu’il regarde une étoile proche, il la repère par rapport aux autres étoiles plus lointaines considérées comme fixes.

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Figure 1 : Principe de la parallaxe
Capture trajectoire sirius A avec droite
Figure 2 : Trajectoire de Sirius A dans le référentiel des étoiles lointaines et considérées comme fixes

Sirius A étant en mouvement dans ce référentiel, elle se déplace lentement selon une trajectoire qui n’est pas parfaitement rectiligne. Pour vous en rendre compte, j’ai récupéré une simulation de sa trajectoire entre 1900 et 2100 et j’ai pointé sa position dans ce référentiel. On voit que par rapport à une droite, il y a de légères oscillations.

Une force obscure semble faire danser l’étoile. Il ne suppose pas que cette force obscure soit celle d’un seigneur Sith mais bien la force gravitationnelle d’Isaac Newton. Bien qu’échappant au regard perçant du physicien allemand et demeurant imperceptible malgré l’assistance du matériel optique de l’époque, Bessel suppose la présence d’une étoile perturbatrice, compagnon invisible de Sirius A.

Il faut attendre 1862 et les observations de l’américain Alvan Graham Clark pour identifier cette petite étoile qui a une magnitude élevée, ce qui dans la langue des astronomes signifie qu’elle est peu visible. Cet astre peu lumineux et qui semble danser autour de Sirius A, c’est Sirius B.

trajectoire sirius a et b
Figure 3 : Trajectoires de Sirius A et B vues depuis la Terre. Flammarion

L’astronome français Camille Flammarion rapporte à la fin du XIXème siècle la trajectoire de Sirius B par rapport à Sirius A dans même référentiel que précédemment. L’aspect ondulatoire de la trajectoire dessinée par Flammarion n’est pas celle d’une course de Jedi en speeder mais elle montre la périodicité de la trajectoire de Sirius B. Ce qu’on voit n’est pas l’orbite elle-même mais sa projection sur un plan perpendiculaire à la ligne de visée. Il faut bien comprendre que les orbites vraies sont des ellipses et que la loi des aires de Kepler (celle qui dit que « des aires égales sont balayées dans des temps égaux ») est conservée.

 

Figure 4 : Mouvement de Sirius B autour de Sirius A dans le référentiel de Sirius A. La date est indiquée en bleu, en année décimale. Crédit : ASM

Le dessin de Camille Flammarion peut être reconstitué avec les observations faite jusqu’à aujourd’hui et en projection jusqu’en 2100 environ. Admirez la danse des deux compagnons :

Figure 5 : Trajectoires de Sirius A et B vue depuis la Terre. Crédit : Observatoire du Pic du Midi

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La magnitude élevée de Sirius B, c’est-à-dire le fait qu’elle soit à peine visible, ne choque pas les astronomes. La loi de Stefan nous apprend que le rayonnement varie suivant la quatrième puissance de la température absolue :eq1où dP/dS est la puissance totale rayonnée par unité de surface, σ est la constante de Stefan-Boltzmann et T la température en kelvin. La faible visibilité de Sirius B devrait indiquer un faible rayonnement, cohérent avec un pic d’émission dans le rouge.

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Figure 6 : Luminance spectrale en fonction de la longueur d’onde

Mais surprise en 1915 lorsque l’astronome Walter Syndney Adams photographie le spectre de Sirius B. Il écrit dans un article intitulé The Spectrum of the Companion of Sirius et publié dans Astronomical Society of the Pacific :

« Le spectre des raies du compagnon est identique à celui de Sirius à tous égards pour autant que l’on puisse en juger par une comparaison étroite des spectres, mais il semble y avoir une légère tendance, pour le spectre continu du compagnon, à s’estomper plus rapidement dans la région violette. Plusieurs astronomes ont suggéré qu’au moins une partie de la lumière du compagnon était due à la lumière réfléchie par Sirius. Il n’est cependant nullement nécessaire de recourir à cette explication, puisque dans le cas du compagnon de O2 Eridani, où il ne peut être question de lumière réfléchie, on connaît un cas similaire d’une étoile de très faible luminosité et qui a un spectre de type A0. »

L’étude spectrale révèle une étoile de couleur blanche. Le spectre est pourtant celui d’une étoile de la première séquence principale de type A. Qu’est-ce à dire ? Petit retour en arrière sur le classement des étoiles.

En classant les étoiles d’un même type spectral, l’astronome danois Ejnar Hertzsprung découvre en 1905 qu’il existe une relation entre la luminosité et la température des étoiles. Le diagramme auquel il aboutit, perfectionné par l’américain Henry Russel en 1913, est connu sous le nom de Diagramme de Hertzsprung-Russell ou Diagramme H-R. Toutes les étoiles connues s’alignent sur ce qu’on appelle la séquence principale. En partant en haut à gauche de la séquence principale en allant vers le bas à droite, les différents types spectraux sont O, B, A, F, G, K, M. Pour vous en souvenir : « Oh Be A Fine Girl, Kiss Me ».

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Figure 7 : Luminosité des étoiles en fonction de leur température de surface

En astronomie, le théorème de Vogt-Russell, affirme que le rayon, la luminosité, la température de surface, la structure interne et l’évolution de l’étoile sont uniquement déterminés par la masse et la composition chimique de l’étoile. Comme la composition des étoiles varie peu, c’est essentiellement la masse qui détermine les caractéristiques de l’étoile, ce qui signifie qu’il doit y avoir un lien entre la masse et la luminosité, le rayon et la température de surface quand l’étoile est sur la séquence principale. C’est donc la masse qui détermine la position de l’étoile sur la séquence principale.

étoiles séquence principale
Figure 8 : Les étoiles de la séquence principales selon les types spectraux.

Or, si les spectres de Sirius A et B sont similaires, il y a un problème car leurs rayons sont très différents ! Là où on s’attendait à une étoile rouge, le spectre révèle qu’elle est de couleur blanche ! On a affaire à une naine blanche. Petit focus sur ces étranges étoiles.

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La première observation d’une naine blanche (40 Eridani B) a été réalisée par William Herschell en 1783, autre grand maître Jedi de la physique. Cette étoile appartient à un système triple également composé de 40 Eridani A (naine orange visible à l’œil nu, aussi appelée Keid) et de 40 Eridani C (naine rouge). Ce système, encore plus fou que celui qui règne sur Tatooine, est situé à un peu plus de 16 années-lumière de nous. On calcule à l’époque que 40 Eridani B a une luminosité d’à peine 1% de celle du Soleil.

Lorsqu’on étudie le spectre d’une étoile aussi petite que 40 Eridani B, on s’attend à trouver celui d’une étoile de classe M (naines rouge ou naines brunes ayant toutes des températures de surface inférieures à 3850 K). Or quelle ne fut pas la surprise d’Henry Norris Russell et de ses collègues Charles Pickering et Williamina Fleming lorsqu’analysant le spectre de 40 Eridani B en 1910, ils évaluèrent sa température de surface à 16500 K ! Dès lors, comment classer cette étoile ?

Il est assez comique de constater à ce point de l’histoire que le système Sirius A et B appartient à la constellation du Grand Chien, et que le mot canicule est emprunté, au latin canicula (« petite chienne »), diminutif de canis. Dans l’Antiquité, l’étoile Sirius se lève et se couche en même temps que le soleil du 22 juillet au 23 août et cette période de chaleur était nommée « canicula ». Son origine étant oubliée, il s’est répandu au sens de « très forte chaleur »

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Figure 9 : Sirius dans la constellation du Grand Chien

Il faut se rendre à l’évidence : le peu de lumière de Sirius B provient d’une petite surface à haute température. Son rayon est environ cent fois plus petit que celui du Soleil (et donc comparable à celui de la Terre) et sa masse, déduite des lois képlériennes étudiées au lycée, indique qu’elle est comparable à celle du Soleil. Un petit calcul rapide nous permet d’estime la densité de cette étoile connaissant les paramètres de notre Soleil en ordre de grandeur : Msoleil ≈ 1030 kg et Rsoleil ≈ 109 m, on a alors une densité de l’ordre de :eq2Et donc pour Sirius B :eq3Cela nous donne 6 ordres de grandeurs de différence ! La densité de Sirius B est 1 million de fois plus grande que la densité de notre Soleil. Impensable pour une grande partie de la communauté jedi scientifique de l’époque ! Bien que plusieurs astronomes de l’époque qualifient ces résultats d’absurdes, on vient de découvrir les étoiles naines. Les naines blanches ont généralement des masses se situant entre 0,4 masse solaire et 0,7 masse solaire, mais elles sont très petites, approximativement de la taille de la Terre.

Les spectres des naines blanches étant assez différents de ceux de toutes les autres étoiles, on les classe dans la classe de luminosité D (pour dégénéré, un concept qu’on verra dans le prochain article).

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Figure 10 : Luminosité des étoiles en fonction de leurs températures de surface

On verra plus loin que ces naines blanches sont en fait des cadavres stellaires. Il faudra toute la force d’un jeune padawan indien pour comprendre l’existence de ces étoiles mortes au spectre étrange. La suite au prochain épisode.

sirius A et B
Figure 11 : Fausse couleur du système Sirius A et B, filtre infrarouge, 27 octobre 2001. Source Arxiv

Bibliographie

  • Adams, S. (1915). The Spectrum of the Companion of Sirius. Publications of the Astronomical Society of the Pacific, 27, 236. doi:10.1086/122440
  • Chamel Nicolas, « De l’hypothèse d’étoiles aussi denses que les noyaux atomiques à la découverte fortuite des pulsars », Histoire de la recherche contemporaine [En ligne], Tome I-N°2 | 2012, mis en ligne le 11 octobre 2014, consulté le 07 mai 2020.
    URL : http://journals.openedition.org/hrc/166  ; DOI : https://doi.org/10.4000/hrc.166
  • Evry Schatzman. « Les naines blanches », L’astronomie, vol. 65, sept. 1951, page 325
  • Fowler Ralph Howard, « On dense matter », Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, n°87, décembre 1926, pp.114-122. DOI : 1093/mnras/87.2.114 http://articles.adsabs.harvard.edu//full/1951LAstr..65..325S/0000325.000.html
  • Thorne Kip S. (1994). « Trous noirs et distorsions du temps ». Champs Sciences. pp. 143-168.

Webographie

 

 

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