1619, Kepler et la musique des planètes

keplerKepler, grand défenseur des thèses coperniciennes, est connu pour avoir identifié que les orbites des planètes étaient elliptiques et non circulaires. Mais en 1619, il réalise une synthèse étonnante entre astronomie et musique… Il propose une géométrisation du monde à partir des propriétés des solides platoniciens et qui sous-tend une harmonie musicale et cosmique. Son travail va influencer certains compositeurs…

Une petite histoire à lire et écouter…

Note : Pour accompagner la lecture de ce qui suit, je vous invite à écouter Jupiter extrait de l’oeuvre Les planètes de Gustav Holst.

L’Univers de Kepler

Dès son enfance, Johannes Kepler acquiert une éducation à la fois musicale et mathématique à l’université de Tübingen qu’il fréquence de 1589 à 1594. Sous l’influence de son professeur Michael Mästlin, Kepler se convainc que l’héliocentrisme, prôné par Copernic un demi-siècle plus tôt, est le système le mieux à même d’expliquer les observations célestes. Il part alors pour Graz où il publie son premier ouvrage, Mysterium Cosmographicum, et où il exprime sa vision du monde, vision qui sera un fil rouge dans ses futurs travaux théoriques.  Il met en avant une structure du système planétaire basée sur la régularité géométrique. Le modèle des cieux qu’il établit détermine à la fois le nombre de planètes et leurs distances par rapport au Soleil en imbriquant les cinq solides réguliers classiques, dits platoniciens, dans des sphères englobant les orbites planétaires. Chaque solide est inscrit dans l’orbe d’une planète et circonscrit à l’orbe de la planète immédiatement inférieure. L’emboîtement est constitué ainsi : entre les orbes de Saturne et de Jupiter, on trouve le cube.

structure 1

Viennent ensuite le tétraèdre entre Jupiter et Mars, le dodécaèdre (12 faces de pentagones réguliers) entre Mars et la Terre, puis l’icosaèdre (polygone à 20 faces triangulaires) qui englobe l’orbe de Vénus et enfin l’octaèdre qui entoure l’orbe de Mercure.

structure 2
Par cette structure, les distances des planètes au Soleil (dans le modèle copernicien) sont approximativement correctes.

En 1600, Johannes Kepler rejoint la cour de l’empereur Rudolph II à Prague où il devient assistant du plus grand astronome de l’époque : Tycho Brahé.  Les relations entre les deux hommes sont plutôt fraîches. Kepler utilise les observations de Brahé, qui sont les plus précises de l’époque, pour étudier l’orbite de Mars. Elles lui donneront la clef de la nature elliptique des orbites. A la mort de Tycho Brahé en 1601, Kepler devient mathématicien impérial de Rudolph II, récupère l’ensemble des données de Brahé et réalise un travail de synthèse absolument monstrueux qui l’amène à publier Harmonices Mundi (L’Harmonie du monde) en 1619.

L’Harmonie du monde

Pour bien comprendre où Kepler veut nous emmener, il faut identifier la structure de cette œuvre composée de cinq livres :

  • Livre I : C’est un traité de géométrie où Kepler s’intéresse à la construction des polygones et à leurs propriétés.
  • Livre II : C’est un traité d’arithmétique sur les relations entre solides.
  • Livre III : C’est un traité de théorie de la musique sur l’origine de l’harmonie.
  • Livre IV : Il s’intéresse aux relations entre configurations astrologiques et harmonie.
  • Livre V : Il étudie la vitesse des planètes autour du Soleil et en tire les conséquences pour l’architecture du Système solaire.

Dans le livre III, il découvre une corrélation entre les rapports des orbites et la gamme pythagoricienne.

En conséquence, je pouvais mentalement présumer, même à partir des rapports des arcs excentriques diurnes, qu’il y avait des harmonies et des intervalles concordants entre ces mouvements apparents extrêmes des planètes simples, car j’ai vu que partout là-bas les racines carrées des rapports harmoniques étaient dominantes, mais savais que le rapport des mouvements apparents était le carré du rapport des mouvements excentriques. Mais il est possible que l’expérience ne soit que coïncidence.

Il réalise la correspondance complète entre données astronomiques et théorie musicale pour conclure :

En conséquence, des consonances parfaites se trouvent: entre les mouvements convergents de Saturne et de Jupiter, l’octave; entre les mouvements convergents de Jupiter et de Mars, l’octave et la tierce mineure environ; entre les mouvements convergents de Mars et de la Terre, la quinte; entre leur périhélie, la sixte mineure; entre les mouvements extrêmes convergents de Vénus et Mercure, la sixte majeure; entre le divergent ou même entre le périhélique, la double octave.

Il remarque que tout polygone régulier est inscrit dans un cercle. Si on considère que le cercle est une corde capable de vibrer, chaque polygone en fournit une division et donc une note. Kepler donne comme règle que seuls les polygones constructibles à la règle et au compas sont admissibles. Cette corde vibrante circulaire permet de construire plusieurs rapports numériques.

Le livre V lui permet d’associer les vitesses des planètes à une note de musique. Le mouvement elliptique de la planète fournit un motif dont l’étendue entre sa note la plus grave et la plus aigüe dépend de son excentricité et de la durée de sa période.

En ce qui concerne la Terre, son « mouvement varie dans un demi-ton ». Il explique que « la Terre chante mi fa mi ». En notation moderne, la mélodie planétaire correspond au schéma suivant :

partition planétaire

Mais Kepler ne s’arrête pas là et propose d’associer des voix à chaque planète :

  • Mercure est soprano ;
  • La Terre et Venus des altos ;
  • Mars un ténor ;
  • Jupiter et Saturne des basses.

Mais il précise :

Les voix et les sons n’existent pas dans le ciel, à cause de la tranquillité des mouvements.

Les idées de Kepler seront utilisées par la suite par divers compositeurs. Jean Baptiste Lully les utilise pour son Ballet des Planètes (1676). Joseph Haydn fait de même dans l’opéra Il mondo della Luna en 1777, ou encore Gustav Holst en 1917 dans sa symphonie Les planètes.

Pour un voyage plus moderne, Willie Ruff et John Rodgers ont créé en 2008 The harmony of the world qui est un voyage cosmique du Soleil vers Pluton en utilisant les lignes képlériennes.


Bibliographie

  • Bracher K. et al., « The biographical encyclopedia of astronomers », p. 620
  • Kepler J. « Harmonices Mundi », traduit en anglais par Charles Glenn Wallis, 1939.
  • Uzan J.-P., « L’harmonie secrète de l’Univers », Champs Sciences, 2017.

 

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