Au XIIIe siècle, le pape Jean XXII diligente une enquête sur les doctrines enseignées à l’Université de Paris : On y entendrait que « la loi chrétienne a ses fables et ses erreurs, comme les autres religions, et elle est un obstacle à la science ».
A lire ou écouter, l’Université au Moyen-Âge et l’origine du conflit rhétorique autour des interprétations de la Physique d’Aristote.
Le Moyen Âge
On peut subdiviser le Moyen Âge en quatre périodes[1] :
- La première période, du Ve au Xe siècle, aussi appelé Haut Moyen-Âge est marquée, il est vrai, par un très bas niveau d’études scientifiques et une absence de démarche scientifique qui vise à confronter les résultats d’une connaissance à l’expérience sensible.
- La deuxième période du Moyen-Âge va du XIe au XIIIe siècle où la diffusion en Europe des traductions arabes de textes grecs conduit à un renouveau de la connaissance scientifique.
- Une troisième période, du XIIIe au XIVe siècle qui voit éclore les universités et s’imposer la scolastique.
- Et enfin la quatrième et dernière période correspond à la première moitié du XVe siècle et au déclin de la science scolastique et des universités.
Les Universités
Qu’enseigne-t-on dans les Universités ? On y enseigne les sept arts libéraux (artes liberales) dont la liste est empruntée au livre IX de Libri Discplinarum de Varron, savant romain du Ier siècle après J.-C.[2]. Martianus Capella, rhétoricien païen du Ve siècle raconte le mythe qui va fixer le statut de cet enseignement dans ses Noces de Mercure et de Philologie.[3] Plus de détails sur l’organisation de l’enseignement sur le site de la BNF[4].
Un conflit rhétorique
Deux visions du logos vont s’affronter, une héritée de Boèce, philosophe et consul romain du VIe siècle, qui a insisté sur le fait que les raisonnements doivent s’étudier non pas seulement au travers de leur forme mais aussi au travers des différents types de contenus et d’arguments, on dira leur fond. Il y a un héritage de la philosophie grecque qui s’opposait au sophisme. Cette vision, en droite lignée de celle d’Aristote, qui est étudié dans les universités, accorde le primat à la raison humaine. L’autre conception du logos qu’on rencontre à cette période est plus religieuse ; elle voit dans les différentes formes que peut prendre le Verbe, diverses manifestations du divin. Cette conception s’autorise du plus influent de tous les pères de l’Eglise, saint-Augustin, évêque d’Hippone du IV-Ve siècle qui s’était porté garant dans le livre IV de sa Doctrine chrétienne d’un usage chrétien de la rhétorique, non pas fourbe ou sophistique, mais sincère et inspiré par la foi. Ces deux conceptions rhétoriques du logos qui s’affrontent portent déjà en germe le schisme que subira l’Eglise quelques siècles plus tard. La première heure de gloire de la conception « laïque » héritée de Boèce va avoir lieu au XIIe siècle lorsqu’on étudie les textes d’Aristote à l’Université de Paris.
L’averroïsme
Un des commentateurs les plus étudiés d’Aristote est Averroès, philosophe andalou de langue arabe du XIIe siècle et les averroïstes aboutissent à la conclusion que sur plusieurs points, la raison nous conduit à des conséquences opposées à celles de la révélation. [5] Sur la base d’arguments irréfutables, le monde serait éternel, ce qui est en totale contradiction avec la conception chrétienne qui affirme que le monde a été créé par Dieu.
Siger de Brabant, philosophe de l’Université de Paris et attaqué par Thomas d’Aquin pour enseigner les thèses averroïstes, se défendra toujours de ne pas vouloir porter atteinte à la valeur des vérités révélées. N’étant pas théologien, il veut examiner seulement à quelles conclusions peuvent arriver la raison et l’expérience et quelle est l’intention des philosophes et surtout d’Aristote. Pour Siger, l’enseignement chrétien représente la vérité absolue à laquelle il faut adhérer. Manœuvre habile pour échapper aux inquisiteurs ? Si Siger parait être un rationaliste, il n’en est pas moins un croyant.
La condamnation de 1277
C’est une condamnation qui érige en 219 articles, les thèses à ne plus enseigner à l’Université [6]. Elles sont présentées dans un certain désordre sans qu’aucun spécialiste n’arrive à l’expliquer. Dans l’introduction à la condamnation, l’évêque Etienne Tempier écrit [7] :
« Un rapport réitéré venant de personnes éminentes et sérieuses, animées d’un zèle ardent pour la foi, nous a fait savoir qu’à Paris, certains hommes d’étude ès arts, outrepassant les limites de leur propre faculté, osent exposer et disputer dans les écoles, comme s’il était possible de douter de leur fausseté, certaines erreurs manifestes et exécrables, ou plutôt des mensonges et des fausses déraisons »
S’en suivent les 219 articles très courts comme l’article 4 :
« Rien n’est éternel du côté de la fin, qui ne soit éternel du côté du commencement. »
Une nouvelle lettre du pape, datant du 28 avril 1277 et rédigée après réception de la condamnation, réclame des poursuites individuelles à l’encontre des auteurs ou sectateurs des erreurs condamnées en mars. Siger de Brabant finira dans les geôles de l’Inquisition à Rome et poignardé quelques années plus tard. Pour la petite histoire Siger de Brabant passera à la postérité avec Dante puisque le poète italien le placera non pas en Enfer mais au Paradis…
« Celle-ci, d’où ton regard me revient,
est la lumière d’un esprit qui en graves
pensées trouva qu’il tardait à mourir ;
c’est la lumière éternelle de Siger
qui, enseignant dans la rue du Fouarre,
syllogisa des vérités qui éveillèrent l’envie. »
Pierre Duhem, historien des sciences, voit dans cet épisode parisien l’acte de naissance de la science moderne, où la raison défia la révélation.
Programme musical
- Introduction : Antonin Dvorák, Symphony No. 9 en mi mineur (du Nouveau Monde), B. 178 (Op. 95), 1893, 1. Adagio – Allegro molto.
- Hildegarde von Bingen, O quam mirabilis est. [8]
- Anonyme, Le livre vermeil de Montserrat, Polorum regina omnium nostra. [9]
- Anonyme, Alba (Castello de la Plana), musique traditionnelle espagnole.
- Anonyme, Makam Rast « Murass’a » usul Düyek, musique traditionnelle turque.
Bibliographie et liens
[1] Jean Marc Ginoux, « Les grandes découvertes de l’histoire de la physique », ellipses, 2018, p. 127
[2] Meyer Michel, Histoire de la Rhétorique, Librairie Générale Française, 1999, p.86.
[3] Martianus Cappella, Noces de Mercure et Philologie, disponible à la lecture en ligne : https://archive.org/stream/denuptiisphilolo00martuoft#page/n7/mode/2up
[4] L’enseignement médiéval dans l’Occident chrétien : http://classes.bnf.fr/dossitsm/occichre.htm
[5] Ferdinand Sassen, « Siger de Brabant et la doctrine de la double vérité », Revue néo-scolastique de philosophie, no 30, 1931, p. 170-179 https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1931_num_33_30_2612
[6] Pour la préparation de l’enquête, lire Sylvain Piron. « Le plan de l’évêque. Pour une critique interne de la condamnation du 7 mars 1277 ». Recherches de théologie et philosophie médiévale, 2011, 78 (2), pp.383-415. ffhalshs-00663477f https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00663477/document
[7] David Piché, « La condamnation parisienne de 1277 », Vrin – Sic et Non, 1999, p. 73
[8] France Musique : https://www.francemusique.fr/culture-musicale/hildegard-von-bingen-10-petites-choses-que-vous-ne-savez-peut-etre-pas-sur-la-compositrice-65643
[9] France Musique : https://www.francemusique.fr/emissions/musicopolis/1400-le-livre-vermeil-de-montserrat-71496
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