1913, Moseley découvre les protons

moseleySi le nom de Rutherford, le découvreur du noyau de l’atome est largement répandu dans les livres de physique, celui de Moseley l’est beaucoup moins. Niels Bohr qui travaillait dans le même laboratoire que Rutherford à Manchester a bien connu Henry Moseley et il dira en 1962 :

« Le travail de Rutherford (sur le noyau de l’atome) n’était pas pris au sérieux en fait. On peut difficilement le comprendre aujourd’hui, mais vraiment, personne n’y prêtait attention du tout. On n’en parlait nulle part. Le grand changement, c’est Moseley qui l’a amené. »

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Quelques compléments techniques et analyses des articles d’Henry Moseley  :

Les raies spectrales dans le domaine X[1]

figure de diffraction, friedrich et knippingEn juillet 1912, deux physiciens allemands, Friedrich et Knipping obtiennent une tache de diffraction en irradiant un cristal de zinc-blende avec des rayons X (image ci-contre)[2].  Max von Laue qui a prédit le phénomène cosigne cet article et il aura le prix Nobel de physique 1914.

Moseley et Darwin utilisent un «tube de Müller», une électrode de platine est bombardée d’électrons afin de produire des rayons X. Un cristal reçoit les rayons X produits par le platine et un détecteur permet d’identifier les taches de diffraction. Ils essayent trois cristaux, du sel de roche (NaCl), du sélénite (CaSO4) et du ferrocyanure de potassium ([K4Fe (CN) 6 • 3H2O].  Les recherches les plus complètes sont faites avec le sel de ferrocyanure.

Moseley et Darwin découvrent qu’avec le platine, ils obtiennent des rayons X qui vont donner deux types de raies :

A: rayonnement de longueur d’onde indéfinie analogue à la lumière blanche,

B: cinq types de rayonnements monochromatiques, probablement caractéristiques du platine.

La loi de Bragg a été utilisée pour calculer les longueurs d’onde des cinq types de radiations monochromatiques.

différence de marche dans un cristalLe diagramme montre la différence de marche d entre deux rayons en étant diffracté par l’angle θ. On trouve assez facilement que d = 2d sin q. Deux rayons qui auront une différence de marche égale à un entier de la longueur d’onde seront alors en phase et il y aura interférence constructive, soit la loi de Bragg : nλ = 2d sin θ

Après la publication de leurs travaux, Darwin décide de quitter la recherche sur les rayons X et de poursuivre ses recherches dans d’autres champs de la physique. Par ailleurs, Moseley est convaincu qu’il peut poursuivre ses recherches de manière indépendante.

Il estime que la découverte de longueurs d’onde de rayons X uniques de chaque élément connu offrirait à la science un outil puissant, pouvait éclairer les secrets de la structure de l’atome.

L’article qui conforte l’atome de Bohr[3]

A ce point de l’histoire il faut mentionner un personnage assez atypique. En 1913, Antonius van den Broek, avocat et physicien amateur d’Amsterdam, propose que toutes les propriétés chimiques et optiques (y compris les rayons X) des éléments soient déterminées par son ordre dans le tableau périodique de Mendeleïev. La « doctrine du numéro atomique » de Broek diffère évidemment du principe fondamental de Mendeleïev selon lequel « les propriétés chimiques d’un élément dépendent de son poids atomique ».

Les chimistes avaient déjà découvert qu’à trois endroits du tableau périodique, cobalt-nickel, argon- potassium et iode-tellerium, l’ordre chimique inverse la séquence des poids atomiques. Il n’y avait pas d’explication satisfaisante pour ce phénomène. L’idée de Broek n’est cependant pas tout à fait correcte. Il attribue une charge nucléaire différente à chaque élément stable ou radioactif et ne prend pas en compte les éléments radioactifs qui prolifèrent et déroutent les scientifiques. Moseley décide de tester l’hypothèse de Broek, comme il l’appelle. Il déclare : «Nous verrons quelle quantité détermine le spectre des rayons X» et il commence son étude des spectres à haute fréquence des éléments.

Moseley apportent plusieurs modifications à son appareil et substitue une plaque photographique à la chambre d’ionisation. Il utilise douze éléments du calcium au zinc (Z = 20 à 30) à l’exception du scandium (Z = 21). Ces éléments comprennent une des paires critiques, le cobalt (Masse atomique  = 58,93 g ) (Z = 27) et le nickel (MA = 58,69 g ) (Z = 28). En seulement quinze jours, il obtient les spectres, du calcium au zinc.

spectre RX MoseleyMoseley génère un diagramme en utilisant les spectres des éléments en diminuant ordre des fréquences et des poids atomiques de gauche à droite avec le spectre du cuivre en bas et celui du calcium au sommet. Ce diagramme est l’« escalier de Moseley ». Le plus sombre des deux les lignes dans chaque spectre sont notées Kα, l’autre Kβ ; le laiton montre les spectres du cuivre et le zinc. Un élément est manquant, le scandium (Z = 21), que Moseley n’a pas encore examiné. Il est étonnant que ces lignes se soient déplacées, en même temps que le poids atomique des cibles qui produisent les rayons X augmente.

Les spectres de certains éléments contiennent d’autres lignes de faible intensité. Moseley pense que ces lignes peuvent résulter d’impuretés dans le métal des échantillons. Pour prouver son point de vue, il analyse également le laiton, un alliage du cuivre et a trouvé le les raies α et β caractéristiques du cuivre et du zinc.

Moseley conclue :

« La présence des raies dues aux impuretés suggère que cela pourrait être une méthode puissante d’analyse chimique. L’avantage réside dans la simplicité des spectres et l’impossibilité que les raies se superposent. Cela pourrait même mener à la découverte des éléments manquants, tout comme il est possible de prédire la position de leurs raies caractéristiques ».

L’histoire montrera qu’il avait raison !

Chaque élément donne donc deux grandes raies, une α et une β, la première étant cinq fois plus intense. Moseley présente un tableau où apparaissent les longueurs d’onde de ces raies qu’il note la et lb. Il calcule le rapport la / lb et il calcule un nombre Q :

                equation 1

Il place juste à coté la colonne Q, le numéro atomique N des éléments étudiés :

tableau mesure

Il apparait évident ici que la relation N-1 = Q est vérifiée expérimentalement. Ce qui permet de réécrire la relation (1) :

equation 2 ou encoreequation 3

Où n est la fréquence du rayonnement a,   est la fréquence fondamentale d’une raie ordinaire. Cette valeur est obtenue à partir de la constante de Rydberg : equation 4, soit une fréquence de 3,291.1015 Hz.

« Q augmente d’une quantité constante lorsque nous passons d’un élément à l’autre, en utilisant l’ordre chimique des éléments dans le système périodique. Sauf dans le cas du nickel et du cobalt, c’est aussi l’ordre des poids atomiques. Nous avons ici la preuve qu’il y a dans l’atome une quantité fondamentale, qui augmente par pas réguliers au fur et à mesure que l’on passe d’un élément à l’autre. Cette quantité ne peut être que la charge sur le noyau central positif. N est le même que le numéro de la place occupée par l’élément dans le système périodique. Le numéro atomique est alors pour H 1, pour He 2, pour Li 3 ….. pour Ca 20… .. pour Zn 30, etc. Les propriétés chimiques sont régies par N. La similitude très étroite entre les spectres de rayons X des différents éléments montre que ces rayonnements proviennent de atome, et n’ont aucun lien direct avec les spectres de lumière et les propriétés chimiques qui dépendent de la structure de sa surface. »

Quel est le lien avec la théorie de l’atome connue à l’époque ?

En spectrométrie optique, les spectres s’expliquent en termes de photons de lumière de longueurs d’onde discrètes émis lors de transitions entre deux niveaux d’énergie. Chaque substance possède un ensemble de raies spectrales de longueurs d’onde bien déterminées.

La couleur de la lumière émise par un gaz inséré dans un tube à décharge est souvent une indication de la raie spectrale la plus intense dans la région visible. Par exemple, la lumière émanant d’un tube à gaz à hydrogène est rosée, résultat de la raie spectrale très intense de longueur d’onde λ = 656,1 nm. L’espacement entre les raies dans le spectre de l’hydrogène diminue de façon régulière. En effet, en 1885, J.J. Balmer (1825- 1898) montra que les quatre raies visibles dans le spectre de l’hydrogène (dont les longueurs d’onde sont, expérimentalement, de 656 nm, 486 nm, 434 nm et 410 nm) obéissaient à la formule empirique suivante :

equation 5

 où R est la constante de Rydberg, avec une valeur de 1,097 x 107 m-1.

Le spectre de l’hydrogène possède une caractéristique théorique intéressante, n’ayant qu’un seul proton et qu’un seul électron, il est l’atome le plus simple. Niels Bohr (1885-1962) a développé une théorie atomique pour l’hydrogène invoquant que les raies spectrales résultaient d’une transition de l’électron d’un niveau d’énergie supérieur vers un niveau d’énergie inférieur. La longueur d’onde des raies spectrales pouvait être donnée par la relation théorique :

equation 6DE est la différence d’énergie entre le niveau initial et le niveau final, ni et nf, h = 6,63 x 10 -34 J.s = 4,14 x 10 -15 eV.s (la constante de Planck), et c = 3,00 x 10 8 m/s (la vitesse de la lumière dans le vide). Les valeurs n = 1, 2, 3, 4 sont appelées nombres quantiques principaux

Bohr avait émis l’hypothèse que l’électron se déplace sur une trajectoire circulaire et que l’émission était due au passage d’un état stationnaire 2 à l’état 1.

modèle bohr

La fréquence du rayonnement principal émis est d’après la théorie de Bohr : equation 7

Moseley identifie dans son expérience n0 comme étant égal au rapport equation 8

La théorie de Bohr avait été établie pour les spectres de l’hydrogène dans le visible. Ici Moseley se rend compte que le modèle établi par Bohr fonctionne pour des longueurs d’onde 2000 fois plus petites, confortant ainsi les vues de Bohr.

Il a informé Niels Bohr de ses progrès:

« Les résultats sont extrêmement simples et largement ce que vous attendez. »

Le travail réalisé sur la raie a, Moseley ne peut encore l’étendre à la raie b. Il écrit :

« L’hypothèse selon laquelle l’anneau entier participe au rayonnement introduit cependant une grave difficulté due aux considérations énergétiques, alors qu’aucune explication de la raie faible n’a été fournie. D’autres expériences montreront probablement que la théorie a besoin d’être modifiée. »

L’article qui prédit de nouveaux éléments[4]

En novembre 1913, Moseley ressent le besoin d’un changement radical. Moseley retourne à Oxford pour être plus proche de sa mère alors qu’il continue ses expériences. Rutherford s’est efforcé de le persuader de rester à Manchester, mais sans succès. À Oxford, il mesure les raies Kα et le Kβ pour les éléments de l’aluminium à l’argent, puis les raies Lα, Lβ , Lϕ et Lγ pour les éléments du zirconium à l’or.

Il vérifie bien dans la première table que la valeur de Q est conforme à la relation trouvée dans le premier papier.

tableau mesure 2

Pour les raies de la série L, il établit également une relation empirique, tout à fait en accord avec le modèle de Bohr.

tableau mesure 3

Il représente un graphique où il montre la linéarité entre le numéro atomique N et la racine carrée de la fréquence de chaque raie. Les longueurs d’onde peuvent être lues à l’aide de l’échelle en haut du diagramme. Sur l’ordonnée, sont représentés en bleu, les éléments qui posaient souci dans la classification et en rouge les éléments inconnus pour l’époque (le numéro 72 n’était pas identifié correctement):

graphe

 

Les conclusions de Moseley

  1. Chaque élément de l’aluminium à l’or est caractérisé par un nombre entier N qui détermine son spectre de rayons X. Chaque détail dans le spectre d’un élément peut donc être prédit à partir des spectres de ses voisins.
  2. Cet entier N, le numéro atomique de l’élément qui contrôle le spectre des rayons X, est identifié par le nombre d’unités positives d’électricité contenues dans le noyau atomique.
  3. Nous pouvons conclure de l’évidence des spectres de rayons X seuls, sans utiliser aucune théorie de la structure atomique, que ceux-ci les entiers sont vraiment caractéristiques des éléments.
  4. Les éléments connus correspondent à tous les nombres entre 13 et 79 sauf trois.
  5. Comme il est improbable que deux éléments stables différents aient le même entier, trois et seulement trois éléments sont susceptibles d’exister entre Al et Au.
  6. Des lignes vacantes ont été laissées pour un élément entre Mo et Ru, un élément entre Nd et Sa (Sm), et un élément entre W et Os. Ainsi, ces éléments inconnus auront les numéros atomiques 43, 61 et 75, respectivement.
  7. L’ordre des numéros atomiques est le même que celui des poids atomiques, sauf si ce dernier est en désaccord avec ordre des propriétés chimiques. Ceux-ci sont:

Ar (N = 18; M = 39,95) et K (N = 19; M = 39,10)

Co (N = 27; M = 58,93) et Ni (N = 28; M = 58,69)

Te (N = 52; M = 127,60 et I (N = 53; M = 126,90).

  1. La fréquence de toute ligne du spectre des rayons X est approximativement proportionnelle à A (N ─ b)2, où A et b sont des constantes.

Les nouveaux éléments

 

  1. L’élément avec le numéro atomique 75 a été découvert en 1925 par Walter Noddack, Ida Tacke et Otto Berg en Allemagne en utilisant les méthodes de Moseley. Il a été nommé Rhenium (Re).
  2. L’élément avec le numéro atomique 43 a été découvert en 1937 par Carlo Perrier et Emilio Segrè en Italie. Il a été nommé Technetium (Tc). C’est le premier élément radioactif obtenu artificiellement. Aujourd’hui, il est largement utilisé en médecine nucléaire.
  3. L’élément portant le numéro atomique 61 a été découvert en 1945 au Oak Ridge National Laboratory, aux États-Unis, par Jacob A. Marinsky, Lawrence E. Glendenin et Charles D. Coryell. Il a été nommé Promethium (Pm).
  4. L’élément portant le numéro atomique 72 a été découvert en 1923 dans le laboratoire de Niels Bohr par Georg von Hevesy et Dirk Coster. Il a été nommé Hafnium (Hf).

Pour aller plus loin sur l’interprétation de la loi de Moseley et la prise en compte du phénomène d’écrantage pour expliquer les désaccords entre la loi de Moseley et l’expérience :

Whitaker, M. A. B. (1999). The Bohr-Moseley synthesis and a simple model for atomic x-ray energies. European Journal of Physics, 20(3), 213–220. doi:10.1088/0143-0807/20/3/312


Bibliographie

Brown E. Des chimistes de A à Z, Ellipses

Rousset A. Six J. Des physiciens de A à Z, Ellispes

Heilbron J L, H G J Moseley: Life and Letters of an English Physicist 1887–1915, Berkeley, CA: University of California Press, 1974

Moseley Henry G. J. and Darwin Charles G., The Reflexion of the X-Rays, Phil. Mag. 26, 210-232, 1913.

Moseley Henry G. J., The High-Frequency Spectra of the Elements, Phil. Mag. 26, 1024-1034, 1913.

Moseley Henry G. J., The High-Frequency Spectra of the Elements, Part II, Phil. Mag. 27, 703-713, 1914.


[1] Moseley Henry G. J. and Darwin Charles G., The Reflexion of the X-Rays, Phil. Mag. 26, 210-232, 1913.

[2] Von Friedrich, Knipping, Laue, Interferenzerscheinungen bei Röntqenstrahlen, Annalen der Physik, vol. 346, 10, p. 971-988, 1913

[3] Moseley Henry G. J., The High-Frequency Spectra of the Elements, Phil. Mag. 26, 1024-1034, 1913.

[4] Moseley Henry G. J., The High-Frequency Spectra of the Elements, Part II, Phil. Mag. 27, 703-713, 1914.


Programmation musicale :

  • Introduction : Antonin Dvorák, Symphony No. 9 en mi mineur (du Nouveau Monde), B. 178 (Op. 95), Adagio – Allegro molto, 1893.
  • Pyotr Il’yich Tchaikovsky, Souvenir de Florence, pour sextet à cordes en Ré majeur, Op. 70, 1887.
  • Jean Sibelius, Symphonie n°1 en mi mineur, Op. 39, Andante ma non troppo – Allegro energico, 1899.
  • Richard Wagner, Das Rheingold (L’or du Rhin), opera, WWV 86a, 1853.
  • Lelio Colista, Sinfonia pour 2 violons en la mineur, W-K 32, XVIIème siècle.
  • Edvard Grieg, Elegiac Melodies pour orchestre, Op. 34, 1880.
  • Edward Elgar, Pomp and Circumstance No. 1 en Ré majeur, 1887

 

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