
Les relations entre sciences et art sont nombreuses et variées. L’art littéraire est probablement celui qui est le plus subtil car il ne se révèle pas au premier abord. Les mouvements rhétoriques ont participé à des tournants essentiels dans l’évolution de l’histoire des idées scientifiques. Pour l’heure c’est sur un petit jeu littéraire que je vous invite, sur les traces des anagrammes de Galilée.
La poétique de l’anagramme

Etienne Klein, historien des sciences, figure médiatique et champion des anagrammes, les utilise souvent mais toujours dans un sens poétique. Par exemple :
La théorie de la relativité restreinte : vérité théâtrale et loi intersidérale
L’origine de l’univers : un vide noir grésille
Et les particules élémentaires : tissèrent l’espace et la lumière
Galilée, le grand perceur des mystères de cette « Nature écrite en langage mathématique » s’est amusé à ne pas révéler trop rapidement ses découvertes, stimulant la curiosité et la réflexion de ses lecteurs. Chez le savant italien, l’anagramme n’a pas la finalité poétique des anagrammes d’Etienne Klein mais il l’utilise tel un outil rhétorique. Il expose ses découvertes sous forme d’énigmes dont il est lui-même l’auteur et dont il est le seul à détenir la clé, qu’il peut décider ou non de délivrer. Certaines anagrammes ont même plusieurs niveaux de lecture comme on va le voir avec deux exemples.
De Mars…

En 1610, Galilée pointe sa lunette vers le ciel et découvre en janvier les satellites de Jupiter mais cette année là, il observe d’autres astres. Imaginez que vous êtes un correspondant de Galilée et qu’il vous fasse l’honneur d’une lettre. Le message est, hélas pour vous, composé de trente-six lettres amalgamées :
Smaismrmilmepoetalevmibunenugttaviras.
Johannes Kepler, héliocentriste convaincu, fut un des destinataires de ce message. La première clef pour lire une anagramme est évidemment de connaître la langue dans laquelle vous transmettez des informations. Le latin est ici de mise. La deuxième étape est d’identifier l’objet à laquelle se rapporte le message. L’expéditeur, Galilée, est un astronome mathématicien et probablement que l’objet principal du texte caché appartient au champ lexical de l’astronomie. Kepler suivit probablement ce raisonnement pour extraire de ce message le mot Martia en référence à la planète rouge. A partir de ce mot extrait, il lui suffisait de reconstruire la phrase.
La solution de Kepler, consignée dans sa Narratio de observatis Jovis satellibus, était la suivante :
Salve umbistineum geminatum Martia proles.
Salut, double protection du bouclier, progénitures de Mars !
Kepler voyait ainsi confirmé par ce message son idée d’harmonie du monde : la Terre avait un satellite, Mars en avait deux pendant que Jupiter en avait quatre. La progression géométrique 1, 2, 4 découverte eut satisfait Kepler. Mais…
….à Saturne
Mais nul n’a réussi à découvrir que l’observation à laquelle se rapportait l’anagramme de Galilée concernait Saturne, – ce qu’il s’était lui-même ingénié à rendre impossible en désignant dans son « texte » cette planète à l’aide d’une périphrase -, comme il en a ultérieurement fourni la révélation, en communiquant la vraie phrase qu’il avait transmise en brouillant l’ordre des lettres qui la composent :
Altissimum planetam tergeminum observavi.
J’ai observé que la planète la plus haute est trijumelle
Pour faire totalement perdre son latin à Galilée, en 1612, il n’observa plus les deux compagnons de Saturne et dit tristement « Saturne a dévoré ses enfants ! ». En fait, les anneaux n’étaient plus inclinés par rapport à la Terre et leur finesse est telle que vus par la tranche, ils deviennent invisibles ! Ce n’est qu’en 1659 que Huygens découvrit véritablement les anneaux. Lui aussi cacha sa découverte avec des anagrammes :
aaaaaaa, ccccc, d, eeeee, g, h, iiiiiii, llll, mm, nnnnnnnnn, oooo, pp, q, rr, s, ttttt, uuuuu
Trois ans plus tard, il déclara que cette anagramme voulait dire :
Annulo cingitur, tenui, plano, nusquam cohaerente, ad eclipticam inclinato
Il est entouré d’un anneau léger, n’adhérant à l’astre en aucun point, et incliné sur l’écliptique
Vénus et la Lune
Revenons à Galilée mais cette fois avec une anagramme à double tiroir. Galilée a utilisé l’anagramme pour communiquer sa découverte des phases de Vénus, tout d’abord révélée à travers cette phrase incompréhensible :
Haec immatura me iam frustra leguntur : o, y.
Les lettres de cette phrase, une fois réarrangées, donnent ceci :
Cynthiae figuras aemulatur mater amorum.
La mère des amours imite les figures de Cynthie.
Le premier écran constitué par l’anagramme en recouvrait donc un second, constitué par la désignation des corps célestes à l’aide de figures empruntées à la mythologie : « Cynthie » pour la lune, « la mère des amours » pour Vénus. Une fois levé ce second écran, la phrase présente la signification suivante qui a valeur de découverte scientifique :
Vénus (la mère des amours) parcourt les mêmes phases que (imite les figures de) la lune (Cynthie)

Ces jeux de langage, très recherchés et délectables pour l’esprit, sont loin du sérieux dont la connaissance scientifique est généralement créditée. Après tout, nul ne peut refuser aux savants le droit de se reposer de leurs austères travaux en s’amusant.
Bibliographie :
Camille Flammarion, Les terres du ciel : voyage astronomique sur les autres mondes et description des conditions actuelles de la vie sur les diverses planètes du système solaire. C. Marpon et E. Flammarion (Paris), 1884
Pierre Macherey, « Une poétique de la science », Methodos [En ligne], 6 | 2006, mis en ligne le 03 mai 2006, consulté le 24 août 2017. URL : http://methodos.revues.org/473 ; DOI : 10.4000/methodos.473
Sources images :
Wikipedia
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[1] Les dessins correspondent aux auteurs suivants : I. Galilée, 1610 – II. Scheiner, 1614 – III. Riccioli, 1640 – IV à VII. Hervélius, 1640 à 1650 – VIII et IX. Riccioli, 1648 et 1650 – X. Eustache de Divinis, 1647 – XI. Fontana, 1648 – XII. Cassendi, 1645 – XIII. Riccioli, 1650
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