Des observations et des résultats expérimentaux inattendus, des calculs "abominables" et autres curiosités scientifiques qui font de l'histoire des sciences une aventure humaine passionnante.
1896, La découverte controversée de la radioactivité
Claude Félix Abel Niépce de Saint-Victor [A]Dans l’article précédent, il était question de Jean Becquerel qui s’était enthousiasmé (à tort) pour les rayons N. Il était le fils d’Henri Becquerel, prix Nobel de Physique 1903 pour la découverte de la radioactivité en 1896, trois mois seulement après la découverte des rayons X de Wilhelm Röntgen. Cependant, la véritable découverte de la radioactivité fut réalisée en 1867 et revient à Claude-Félix-Abel Niepce de Saint Victor (1805-1870) qui fréquentait le laboratoire du père d’Henri Becquerel…
La découverte de Niepce de Saint Victor
Michel Eugène Chevreul [B]Claude-Félix-Abel Niepce de Saint Victor (1805-1870) était le cousin germain de Nicéphore Niepce, inventeur de la photographie. Niepce de Saint Victor réalise lui même des expériences sur la lumière et la photographie. Ses travaux attisent la curiosité de Michel-Eugène Chevreul, chimiste français, qui pendant sa longue vie (il mourut en 1899 à l’âge de 102 ans!) fût membre de l’Académie des sciences ou encore directeur du Museum nationale d’histoire naturelle [1]. Chevreul relaye les travaux de Niepce de Saint Victor et présente tous ses mémoires, communications que l’on peut consulter dans les compte-rendus de l’Académie des Sciences [2] [3] [4] [5] [6] [7] et [8]. Niepce de Saint Victor écrit dans son mémoire [9] :
Les expériences que j’ai décrites dans ce Mémoire démontrent, je crois, de la manière la plus évidente, que la lumière communique à certaines substances qu’elle a frappées une véritable activité; en d’autres termes, que certains corps ont la propriété d’emmagasiner de la lumière dans un état d’activité persistante. […] En définitive, j’ai parfaitement constaté que les corps qui conservent le mieux l’activité que leur donne l’insolation sont, excepté les sels d’urane, les moins bien disposés à la fluorescence.
Lors d’une séance de l’académie des Sciences, Chevreul déclare [10] :
« Les faits consignés dans le dernier mémoire de M. Niepce sont importants non seulement par leur liaison avec les questions qui se rattachent à la connaissance des phénomènes chimiques produits par l’action seule de la lumière ou avec son concours, mais encore, et c’est là ce qu’ils ont de nouveau surtout, en ce qui concernent son action même, sa puissance dynamique. C’est une découverte capitale que la démonstration du fait qu’un corps insolé, tel qu’un cylindre de carton blanc, agit dans l’obscurité à distance sur certains corps à l’instar de la lumière même émanerai directement du soleil. M Niepce vient de constater que le carton insolé, conservé à l’obscurité dans un cylindre de fer blanc, est encore actif six mois après son insolation. »
On trouve trace des travaux sans équivoque de Niepce de Saint Victor dans l’Encyclopédie chimique de 1884 écrites par Ditte et Guntz [11] :
Les sels d’uranyle présentent en général la propriété d’émettre des rayons fluorescents après avoir été exposés à la lumière solaire. Ils sont capables en outre, longtemps après l’insolation, de rayonner autour d’eux des rayons plus réfrangibles et invisibles.
Henri Becquerel et la radioactivité
Henri Becquerel [C]Le père d’Henri Becquerel, Edmond Becquerel (1820 – 1891), professeur au Conservatoire des Arts et métiers, puis titulaire de la chaire de son père Antoine (quelle famille!) au Muséum d’histoire naturelle [12] avait déjà étudié les effets de la lumière résultant de l’action de la lumière sur les sels d’uranium [13], Niepce de Saint Victor et lui même se fréquentaient. Lorsqu’en janvier 1896, Henri Poincaré présente les premiers clichés de rayons X par Röntgen, Henri Becquerel fit probablement le rapprochement entre ces nouveaux rayons et les travaux de Niepce de Saint Victor, même s’il s’en défendra, ne citant jamais Niepce de Saint Victor, ce que condamnera en particulier Gustave Le Bon [14] [15]. La suite est plus connue, Henri Becquerel reprend à l’identique les expériences de Niepce de Saint Victor : le 1er mars 1896 – alors qu’il avait enfermé une préparation dans le tiroir du bureau de son laboratoire à cause du mauvais temps qui dura trois jours – il développa malgré tout son travail et découvrit deux taches très marquées dont une portait la silhouette de la croix de Malte en cuivre de différentes épaisseurs qu’il avait laissée dessus [16].
Becquerel, imposteur?
Marie Curie [D]A la vue des faits, on pourrait le penser, mais si la découverte fut celle de Niepce de Saint Victor, la compréhension du phénomène fut bien celle d’Henri Becquerel, même si elle ne fut pas immédiate. Au début, Becquerel pensait que les sels d’urane émettaient une lumière invisible comparable à celle des rayons X. La communauté scientifique elle-même, bien moins impressionnée que par les rayons X ne s’enflamma pas pour la (re)découverte. Si on se fie aux publications faites par Becquerel dans les compte-rendus de l’Académie des Sciences, on en compte 7 en 1896, 2 en 1897, aucune en 1898 et 1 en 1899. Durant cette période, il s’intéressa davantage à l’effet Zeeman (influence d’un champ magnétique sur une source de lumière). C’est au début de l’année en France que Maria Sklodowska Curie et Gerhart Schmidt en Allemagne publièrent indépendamment que du thorium présentait les mêmes caractéristiques d’émission que l’uranium. Ernest Rutherford, toujours indépendamment des travaux de Marie Curie, s’intéressa aussi au phénomène des rayons uraniques alors que Marie et son mari Pierre Curie découvrirent le polonium et le radium. C’est après le succès médiatique des Curie que Becquerel se replongea dans ses études. Il se fit offrir un échantillon de radium à partir duquel il mit en évidence les rayonnements α et β dus à la radioactivité (mot inventé par Marie Curie). Il recevra le prix Nobel de physique 1903 en même temps que les époux Curie.Si une découverte scientifique est importante, sa compréhension la rend bien plus estimable. Elle est rarement le fruit d’un seul individu et Newton lui même disait :
Si j’ai vu plus loin, c’est parce que j’étais assis sur les épaules de géants.