1903, René Blondlot de la gloire au ridicule des rayons N

Henri_Becquerel
Henri Becquerel [A]
A la fin du XIXe siècle, les rayons X sont découverts par l’allemand Wilhelm Röntgen, les rayons « uraniques » et la radioactivité trois mois plus tard en 1896 par le français Henri Becquerel. La communauté scientifique, d’abord sceptique, s’enthousiasment pour ces nouvelles découvertes qui permettent de connaître davantage l’intimité de la matière et des énergies qu’elle renferme. Ces découvertes valent à l’allemand d’être le premier prix Nobel de physique de l’histoire (1901) et au français, le prix Nobel 1903. Dans cette euphorie générale, le professeur de l’université de Nancy René Prosper Blondlot découvre lui aussi de nouveaux rayons, qu’il nomma rayons N, les rayons nancéens… qui vont le mener de la gloire au ridicule.

L’origine des rayons N

René Blondlot
René Blondlot [B]
Le 23 mars 1903, une note intitulée « Sur une nouvelle espèce de lumière » publiée dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences [1] va lancer le professeur Blondlot vers la voie du succès. Cette note fait suite à ses recherches, déjà publiées dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences [2]où il expose l’état de ses recherches sur les ondes électromagnétiques et en particulier sur les rayons de Röntgen. Dans le cadre de ses études, Blondlot, qui est aussi correspondant à l’académie des Sciences, remarque l’augmentation d’éclat d’une étincelle qu’il impute à une nouvelle source de radiations inconnues jusqu’alors. Ce transfert d’énergie réalisé par ces nouveaux rayons se réalise dans un plan qui empêche, selon l’auteur, de les confondre avec les rayons X. Blondlot poursuit alors ses recherches pour déterminer les propriétés de ces rayons N qui vont se voir conférer des propriétés bien étonnantes.

Les fabuleux rayons N

Augustin Charpentier [C]
Augustin Charpentier [C]
Les sources de rayons N viennent aussi bien de corps incandescents comme le Soleil, de lampes Auer, de bec Bunsen (vous vous souvenez, ce petit brûleur utilisé sur vos paillasses de collège), mais aussi de végétaux [3] et même de certaines parties du corps humains comme les muscles et les nerfs [4]. Blondlot n’est pas le seul à les étudier : Augustin Charpentier, professeur de médecine à Nancy, travaille lui aussi sur ces fabuleux rayons et publie plusieurs dizaines d’articles. Si les rayons X permettent de voir les os lors de radiographie, il est permis d’imaginer que les rayons N vont permettre de voir les nerfs du corps humain! Gilbert Ballet, neurologue aliéniste et futur académicien des sciences [5] montre qu’on peut s’en servir dans le diagnostic de certaines pathologies [6]. Le fils d’Henri Becquerel et dernier rejeton d’une grande lignée de physicien se met lui aussi à étudier le phénomène dont le père relaie les recherches à l’académie des Sciences. Les scientifiques français se pressent à Nancy pour observer ces rayons et si certains en reviennent subjugués comme le fils Becquerel, beaucoup avouent ne rien voir. Pire, certains disent, comme Paul Langevin, que pour voir les rayons N, les expérimentateurs leur suggèrent ce qu’il faut voir, faisant passer l’observation de l’objectivité à la subjectivité.

Les doutes

Heinrich Rubens [D]
Heinrich Rubens [D]
Alors que l’étude de ces rayons se réalise essentiellement dans la ville Lorraine, dès mars 1904, certains scientifiques soulèvent le manque de rigueur des protocoles exposés par Blondlot et ses confrères nancéens, empêchant la reproductibilité des résultats [7] [8]. Dans sa séance du 6 juin 1904 de l’Académie des Sciences [9], François-Pierre Le Roux (on lui doit la première radiographie de l’histoire) expose ses recherches sur les rayons N et met en garde les physiciens sur les interprétations hâtives. Ces rayons sont selon lui des phénomènes purement subjectifs, ce qui explique le fait que certains témoins ne peuvent pas voir les dits rayons. Fait plus étrange, dans une communauté scientifique où les communications sont favorisées par les progrès techniques et la multiplication des revues scientifiques, on ne trouve que peu d’échos de ces fabuleux rayons à l’international. A l’université de Messine, le professeur Salvioni reprend les expériences de Blondlot et il communique ses résultats à l’Académie des sciences de Rome [10]. Son travail est minutieux, mais il ne parvient pas à mettre en évidence les rayons. S’il se montre incertain quant à ses propres résultats, il ne va pas dans la négation comme c’est le cas en Allemagne. Le professeur Heinrich Rubens (expérimentateur qui mit Max Planck sur la voie de sa théorie des quanta), de Berlin, reçoit un matin un aide de camp de l’Empereur Guillaume II qui lui dit :

Sa majesté l’Empereur a entendu parler des rayons N. Sa majesté serait désireuse de voir les expériences concernant cette question et je vous prie de les préparer pour demain matin.

Le professeur Rubens se précipite sur les communications faites par l’Académie des Sciences de Paris pour reproduire les expériences très simples en apparence. Une journée entière et une nuit de labeur acharné ne permettent pas à Rubens de produire ces rayons [11]. De là serait née l’hostilité allemande aux rayons N à travers les différents congrès organisés.

L’instant de gloire

Henri Poincaré [E]
Henri Poincaré [E]
En juin 1904, Blondlot va faire une moisson personnelle bien fructueuse. L’ensemble de la communauté scientifique française met hors de tout soupçon le professeur de Nancy quant à son sérieux et eu égard à ses travaux précédents, ils lui décernent le prix Leconte de l’Académie des Sciences avec un prix de 50 000 Francs, somme très considérable à l’époque. Le mathématicien et académicien Henri Poincaré fait un rapport détaillé et décisif dans l’attribution du prix à Blondlot. Plutôt que de se référer aux rayons N, Poincaré insiste sur la riche carrière scientifique de Blondlot et sa contribution à la compréhension des phénomènes électromagnétiques [12]. Blondlot fait également partie de la promotion des officiers à la légion d’Honneur du 14 juillet 1904. La reconnaissance est totale. Mais qu’en était-il des rayons N? Étrangement, à l’été 1904, aucune publication ne parait sur ces fameux rayons N et la presse, qui se fait l’écho des résultats retentissants de la physique française, constate que cela devait être du à la période des vacances et ne craint pas que la moisson des résultats reprendrai dès la rentrée.

La décadence des rayons N

Robert Williams Wood [F]
Robert Williams Wood [F]
Le coup de grâce vient en effet à la rentré, en septembre 1904 et il est porté par l’Américain Robert Williams Wood, correspondant étranger de la Royal Society de Londres et chercheur à l’université Johns Hopkins de Baltimore. Dans une lettre publiée dans Nature le 29 septembre 1904, Woods raconte son voyage en France dans les laboratoires de Nancy et comment il mit en défaut les expérimentateurs qui voulaient lui montrer la réalité des radiations. La lettre est traduite et publiée dans la presse française [13]. Woods explique comment, après s’être fait présenté les expériences et être resté sceptique, il berna les expérimentateurs. Pendant une des ces expériences où un faisceau de rayons N pénètre dans un prisme pour y être dévié, il subtilise le prisme et l’expérimentateur qui n’a pas vu le tour de passe-passe, continue ses mesures comme si de rien n’était. Woods interpose également sa main sur le chemin de cette nouvelle lumière, demande si les expérimentateurs voient toujours la trace du rayon sur l’écran et là encore les expérimentateurs (qui n’ont pas vu dans l’obscurité le subterfuge de l’américain) répondent que tout allait bien.Ces faits nouveaux alarment Blondlot mais aussi toute cette communauté scientifique française qui a reçu presque aveuglément les résultats sans les vérifier! Une grande enquête est diligentée par la Revue scientifique, où nombre de témoins et de hauts personnages scientifiques sont questionnés sur l’existence des rayons N. Peu sont ceux qui défendent Blondlot. Parmi eux, notons Bordier, professeur agrégé de physique de Lyon qui a eu l’idée de publier un ouvrage vulgarisant les rayons N à destination du grand public et dont la date de publication se fait pendant la tourmente. Bordier usa d’idées et de protocoles pour mettre en évidence les rayons N auquel il croit [14].  On remet en question l’acuité visuelle des témoins qui n’ont pas vu les rayons N par exemple!

Le rôle de la suggestion dans l’expérience

Finalement, les rayons N ne reçoivent jamais de vérification objective mais la conclusion de cette affaire n’est pas dénuée de sens. On ne peut pas attendre d’un observateur de ne  voir que ce qu’il s’attend à voir, cela étant l’antithèse de la méthode scientifique. Blondlot et ses acolytes ont également recours à l’argument d’autorité, replongeant la science dans de son sombre passé. Se pose également la question de tous ceux qui ont vu ces rayons N, qui en ont calculé leur longueur d’onde, la déviation dans un champ magnétique, etc. Comment calculer des paramètres de quelque chose qui n’existe finalement pas? La suggestion peut faire jouer à la raison un rôle bien plus grand que ce qui était imaginable. De plus, que ces erreurs scientifiques aient été récompensées d’un prix de l’Académie des Sciences montre à quel point un organe institutionnel réputé sérieux s’est fait berné nous permettant de ne plus prendre comme article de foi indiscutable tout ce qui émane d’une source officielle.


Sources :
[1] Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1er semestre 1903, page 735.
[2] Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1er semestre 1903, pages 284 et 487.
[3] Société de Biologie, 22 janvier 1904, Réunion de Nancy, page 72.
[4] Société de Biologie, 22 janvier 1904, Réunion de Nancy, page 69.
[5] Wikipedia, Gilbert Ballet
[6] Presse médicale, n°22, 16 mars 1904, page 169.
[7] Société de Biologie, 14 mars 1904, Réunion de Nancy, page 528.
[8] Société de Biologie, 13 juin 1904, Réunion de Nancy, pages 1045 et 1049.
[9] Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1er semestre 1904, page 1413.
[10] La Revue Scientique, 41ème année, 2nd semestre, numéro du 16 juillet 1904, page 73.
[11] La Revue Scientique, 41ème année, 2nd semestre, numéro du 19 novembre 1904, page 656. Rapport du professeur Berget dans l’Enquête sur les Rayons N.
[12] La Revue Scientique, 41ème année, 2nd semestre, numéro du 31 décembre 1904, page 843.
[13]  La Revue Scientique, 41ème année, 2nd semestre, numéro du 22 octobre 1904, page 536.
[14]  La Revue Scientique, 41ème année, 2nd semestre, numéro du 17 décembre 1904, page 783.

Sources image :
[A] Wikipedia, Henri Becquerel
[B] The Skeptic’s Dictionnary, Blondlot and N-Rays (en anglais)
[C] Wikipedia, Augustin Charpentier (en anglais)
[D] Université de Berlin, Heinrich Rubens (en allemand)
[E] Wikipedia, Henri Poincaré (en anglais)
[F] Wikipedia, Robert Williams Wood (en anglais)

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