Des observations et des résultats expérimentaux inattendus, des calculs "abominables" et autres curiosités scientifiques qui font de l'histoire des sciences une aventure humaine passionnante.
Cours de chimie de Lemery [1]On se souvient tous de ce tableau en salle de chimie qui répertorie tous les éléments connus. Le nom de cette classification est associée à celui du russe Dmitri Ivanovitch Mendeleïev mais l’histoire qui se cache derrière est assez méconnue. Comme souvent, une découverte ou une invention n’est que le résultat d’une longue démarche intellectuelle qui a mobilisé de nombreux cerveaux. Dans ce fil de l’histoire, les français Alexandre-Émile Béguyer de Chancourtois et Paul-Émile Lecoq de Boisbaudranont ont permis au russe d’atteindre la renommée qu’on lui connait. Mais qu’ont-ils fait?
Les bribes de classification
C’est par les métaux que commence l’histoire. Les alchimistes reconnaissent sept métaux et chacun d’eux est consacré à une planète [1]. Ils ont ainsi appelé l’or Soleil, l’argent Lune, le vif-argent Mercure, l’étain Jupiter, le cuivre Vénus, le fer Mars et le plomb Saturne. Ils ont voulu aussi que ces planètes aient leurs jours choisis pour verser leurs influences. Il valait ainsi mieux travailler l’argent le lundi, le fer le mardi etc. si on voulait réussir son entreprise. Cette classification des éléments va perdurer jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
Pierre-Joseph Macquer [3]La découverte de nouveaux métaux remet en question ce classement poétique. Une première classification basée sur les propriétés de ces métaux est faite par le chimiste français Pierre-Joseph Macquer (1718 – 1784) qui observe que certains métaux ne s’altèrent pas avec le feu, il les nomme métaux parfaits (l’or, l’argent le platine), pendant que les autres métaux sont nommés imparfaits (cuivre, fer, étain, plomb). Mais il remarque dans cette altération que certains perdent leur ductilité et leur fixité, il les appelle les demi-métaux (antimoine, zinc, cobalt, bismuth arsenic). Le mercure, seul métal liquide à température ambiante est mis seul dans une classe à part. [2]
Les propriétés physiques et chimiques
Classement d’Antoine François Fourcroy [4]Antoine Fourcroy (1755 – 1809), successeur de Macquer comme lecteur de chimie au Jardin du Roi, écrit dans son Système de connaissances chimiques (1801) qu’il existe cinq classes pour ranger les métaux. Son classement est basé sur les propriétés physique (fragilité des métaux) mais aussi chimiques (oxydation).
Classification de Louis-Jacques Thénard [4]
En 1813, le chimiste français Louis-Jacques Thénard, dans son Traité de chimie, adopte une classification basée sur l’affinité des métaux pour l’oxygène (cliquez sur l’image pour voir ce classement en grand). On voit apparaître dans la première section les alcalins et alcalino-terreux. Encore imparfaite, cette classification a le mérite de réunir les métaux pour leurs propriétés les plus importantes. On voit également qu’en une décennie, le nombre de métaux connus a pratiquement doublé!
Le français Berzélius adopte la théorie électrochimique de l’anglais Humphrey Davy et range les éléments selon leurs affinités électroniques avec l’oxygène, élément alors considéré comme le plus électronégatif.
Classification d’Ampère [2]En 1816, c’est André-Marie Ampère (le même qui donna son nom à l’unité de l’intensité électrique) qui propose un classement en trois classes en essayant de considérer toutes les propriétés connues: les gazolytes dont le caractère distinctif est de former des combinaisons gazeuses à la pression normale, les leucolytes qui ne sont pas susceptibles de donner des gaz permanents et qui ne donnent que des solutions incolores quand ils se dissolvent dans les acides, et enfin les chroïcolytes dont les sels sont colorés. Chacune de ces classes est divisée en cinq familles aux noms tout aussi bucoliques. Classification Dumas [2]
En 1828, Jean Baptiste Dumas (1800 – 1884) y va de son classement en cinq familles des éléments d’après leurs combinaisons avec l’hydrogène, l’oxygène et le chrlore. Si on voit apparaitre la famille des halogènes (2ème famille), Dumas ne risque pas à classer les métaux. D’autres tentatives de rangement en séries seront organisées comme celles de Baudrimont ou Frémy.
Les poids atomiques
Alexandre-Émile Béguyer de Chancourtois [5]C’est en 1862 que le géologue Alexandre-Émile Béguyer de Chancourtois a l’idée de classer les éléments suivant l’ordre croissant de leurs poids atomiques sur une hélice de 45°, à laquelle il donne le nom de vis tellurique. Le poids atomique des éléments a été mesuré (ou plutôt calculé) par le chimiste italien Cannizzaro en 1858.
Des études géologiques, m’ont conduit pour l’achèvement d’un mémoire de lithologie en cours de rédaction, à un classement naturel des corps simples ou radicaux par un système graphiquement hélicoïdal, reposant sur l’emploi de nombres que j’appelle nombres caractéristiques ou caractères numériques (Chancourtois, La vis tellurique).
Sans le savoir, et pour des raisons de commodités, le minéralogiste vient d’établir le classement le plus judicieux possible et qui sera repris par Mendeleïev sept ans plus tard. La classification en spirale pensée par le français (et un peu plus difficile que le tableau du russe) est imparfaite voire parfois obscure mais elle contient en germe le principe de la loi périodique, ce qui est déjà beaucoup.
La vis tellurique [6]En 1863, c’est un anglais, John Alexander Reina Newlands qui publie un travail similaire de classement basé sur les poids atomiques et qui émet en 1865 l’hypothèse des octaves, c’est à dire que huit atomes séparent deux atomes aux propriétés chimiques similaires. Le russe Mendeleïev ne publie lui son tableau qu’en 1869…
Note : L’histoire que je viens de raconter est principalement issue d’un livre français sur l’histoire de la chimie parue en 1891 [2] et qui fait la part belle aux chimistes français. Nul doute que dans d’autres pays des efforts similaires ont été fournis comme ceux de Newlands.
Sources :
[1] Nicolas Lemery, Cours de chimie, contenant la manière de faire les opérations qui sont en usage dans la médecine, par une méthode facile, avec des raisonnements sur chaque opération, pour l’instruction de ceux qui veulent s’appliquer à cette science (1675).
[2] Histoire de la chimie. Tome 2 par Raoul Jagnaux, 1891
[3] Wikipedia, Pierre-Joseph Macquer
[4] Petites histoires des sciences
[5] Wikipedia, Alexandre-Émile Béguyer de Chancourtois (en anglais)
[6] : Esquisse de la vis tellurique