1934, Ida Noddack et la fission nucléaire

Otto Hahn reçoit le prix Nobel de Chimie en 1944 pour « la découverte de la fission des noyaux lourds« . Il rejettera toute sa vie la paternité de cette découverte à Ida Noddack, souvent pressentie pour un prix Nobel qui ne lui fût jamais attribuée. Retour sur quelques étapes de cette controverse.

En 1934, Enrico Fermi (1901-1954) annonce à Rome la découverte d’au moins cinq nouveaux éléments radioactifs suite au bombardement de nitrate d’uranyle par des neutrons. L’un d’eux, dont la demi-vie est de 13 minutes, est, selon lui, un transuranien correspondant à l’élément numéro 93. Fermi le place dans le tableau périodique sous le rhénium et le nomma eka-rhénium. Ce travail s’inspire du phénomène dit de radioactivité induite, découvert un an plus tôt par Irène Curie et Frédéric Joliot en France suite au bombardement de noyaux atomiques par des particules alpha. Fermi utilise alors les neutrons, récemment découverts par James Chadwick en Angleterre. L’article de Fermi attire l’attention d’Ida Noddack (1896-1978).

Enrico Fermi

Née Ida Tacke, la chimiste allemande est mariée à Walter Noddack directeur de la Physikalische Technische Reichsanstalt (Office impérial de recherche physico-technique) à Berlin. Elle est surtout connue pour avoir découvert le rhénium, symbole Re, aux propriétés chimiques similaires au manganèse, symbole Mn. Peu après avoir lu l’article de Fermi, elle publie un commentaire (septembre 1934) intitulé « Sur l’élément 93 »  dans lequel elle démontre que les preuves expérimentales de Fermi sont incomplètes et ses conclusions injustifiées. Elle suggère également une interprétation alternative de ses résultats :

« Lorsque des noyaux lourds sont bombardés de neutrons, il serait raisonnable de concevoir qu’ils se décomposent en de nombreux gros fragments qui sont des isotopes d’éléments connus, mais non voisins de l’élément bombardé (dans le tableau périodique) ».

Dans cette affirmation, Ida Noddack conçoit, avant tout le monde, l’idée de fission nucléaire. Son argument est le suivant : lorsque des atomes sont bombardés par des protons ou des particules alpha, les réactions nucléaires qui se produisent impliquent l’émission d’un électron, d’un proton ou d’un noyau d’hélium, et la masse de l’atome bombardé ne subit que peu de modifications. En revanche, lorsque des neutrons sont utilisés, de nouveaux types de réactions nucléaires doivent se produire, totalement différents de ceux connus jusqu’alors.

Les expériences de Fermi sont répétées par Otto Hahn (1879-1968) et ses collègues à Berlin. Ils publient une série d’articles sur les séparations radiochimiques des éléments dits transuraniens. Les résultats sont cependant si contradictoires qu’après quatre ans de recherches intensives et de nombreuses publications, le concept d’éléments transuraniens est abandonné. Hahn annonce alors en janvier 1939 la formation certaine de baryum lors du bombardement de l’uranium et commence à spéculer sur le mécanisme de sa formation. Ida Noddack écrit un court article dans Die Naturwissenschaften en mars 1939, dans lequel elle rappelle à Hahn sa suggestion, cinq ans plus tôt, selon laquelle l’atome d’uranium aurait pu subir une fission, et conclue en le réprimandant pour ne pas avoir cité son article sur ce sujet, bien qu’elle lui ait personnellement exposé son point de vue. Le rédacteur en chef de la revue demande à Hahn de commenter, mais celui-ci refuse, et il ajoute :

Otto Hahn

Otto Halm et Fritz Strassmann nous ont informés qu’ils n’avaient ni le temps ni l’intérêt de répondre à la note précédente. Ils préfèrent renoncer à tout commentaire, car la possibilité de décomposer un atome lourd en fragments plus petits – une idée déjà exprimée par de nombreux autres – ne peut être conclue sans preuve expérimentale. Ils laissent à leurs pairs le soin de juger de la justesse des vues de Mme Ida Noddack et de la manière dont elle les a exprimées.

À l’époque, Hahn a 55 ans et il est déjà directeur de l’Institut Kaiser Wilhelm de chimie (aujourd’hui l’Institut Max Planck). Scientifique reconnu, il a voyagé à l’étranger lors de nombreuses missions scientifiques, découvert le protactinium avec sa collaboratrice Lise Meitner (1878-1968) en 1918 et écrit un manuel de radiochimie. Cependant, il ne peut apparemment pas accepter la nouvelle idée selon laquelle l’atome d’uranium est scindé en deux fragments. C’est Meitner qui, en 1939, explique finalement les résultats de ses travaux par la fission, quelques mois après avoir été contrainte de quitter l’Allemagne. Elle aussi est une grande oubliée pour le prix Nobel et Hahn reçoit le prix Nobel en 1944. Dans son autobiographie, publiée en 1966, l’opinion de Hahn sur la contribution de Noddack reste inchangée et il la rejette :

« Sa suggestion était tellement en décalage avec les idées alors admises sur le noyau atomique qu’elle n’a jamais été sérieusement discutée. »

Lise Meitner

Références bibliographiques et webographiques

Fermi Enrico, Possible Production of Elements of Atomic Number Higher Than 92, Nature, 1934,133,898-899. https://doi.org/10.1038/133898a0

Noddack Ida, Über das Element 93, Angew. Chem., 1934,47 (37), 653-656 https://doi.org/10.1002/ange.19340473707

Hahn Otto and Strassmann Fritz, « Nachweis der Entstehung activer Bariumisotope aus Uran und Thorium durch Neutronenbestrahlung; Nachweis weiterer aktiver Brüchstucke bei der Uranspaltung », die bei der Bestrahlung von Uran mit Neutronen Entstehen« , Naturwissenschaften, 27, 89–95 (1939). https://doi.org/10.1007/BF01488988

Noddack Ida, Bemerkung zu den Untersuchungen von O. Hahn, L. Meitner und F. Straßmann über die Produkte, die bei der Bestrahlung von Uran mit Neutronen entstehen. Naturwissenschaften 27, 212–213 (1939). https://doi.org/10.1007/BF01488887

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