![Comète de Halley en 1910 [A]](https://petiteshistoiresdessciences.files.wordpress.com/2016/09/791px-halleys_comet_-_may_29_1910.jpg?w=252&h=191)
La comète du poète
« Tandis qu’elle le transportait, elle sentit que cette âme s’imprégnait de lumière et s’embrasait. L’âme prend son vol plus haut que la lune ; traînant une chevelure de flamme qui trace dans l’espace un long sillage, c’est une étoile étincelante.»
Il est rapporté par Suétone, dans le Divus Iulius, 88, que lors des premiers jeux célébrés par Octave en l’honneur de César divinisé, pendant sept jours de suite brilla dans le ciel une comète que l’on considéra comme l’âme de César, devenue un astre [2]. Comme quoi, manipuler les foules par les comètes n’est pas nouveau.
La comète et son interprète
La comète de 1910
L’éphéméride de 1910 est calculée par un américain M. Searle et deux anglais, MM. Cowell et Crommelin. Mais dès le 11 septembre 1909, c’est un allemand, M. Max Wolf, d’Heidelberg, qui obtient le premier une photographie de l’astre. L’astronome s’appuie sur les calculs des anglais qui eux aussi ont photographié la comète deux jours avant l’allemand ! Mais le temps médiocre ne leur permet pas de prolonger la pose au-delà d’une demie heure ce qu’ils jugent insuffisant ; aussi ne développent-ils pas leurs clichés. Le 31 décembre 1909, Camille Flammarion, astronome français, communique sur la future rencontre entre la Terre et la comète [3]. Si une rencontre avec le cœur de l’astre errant est vite écartée, c’est le passage de notre planète avec la chevelure qui amuse l’astronome :
« Nous pouvons avouer que nous ignorons la forme que le destin nous réserve pour le mois de mai prochain. L’empoisonnement de l’humanité par des gaz délétères n’est pas probable. Sans doute, si l’oxygène de l’atmosphère venait à se combiner avec l’hydrogène de la queue cométaire, ce serait l’étouffement général à bref délai. Si au contraire, c’était une diminution de l’azote, une sensation inattendue d’activité physique serait éprouvée par tous les cerveaux, et la race humaine périrait dans un paroxysme de joie, de délire et de folie universelles, probablement, au fond, très enchantée de son sort. L’oxyde de carbone, au contraire, pourrait amener l’intoxication de tous les poumons. L’analyse spectrale ne nous indique pas encore quels éléments domineront dans la queue de la comète. Les combinaisons hydrocarburées de l’azote sont fréquentes. »
L’effet est celui d’une bombe dans la presse qui s’empresse de rapporter les termes du savant français, occultant par la même la fin de son intervention où il fait mention du peu fondé de cette version :
« Ces pronostics ne doivent pas, toutefois, tourmenter (inutilement d’ailleurs) les esprits inquiets. Les queues cométaires sont immenses, il est vrai, mais si légères, si raréfiées, que l’atmosphère terrestre est du plomb en comparaison. Lors même que notre globe y serait complètement immergé, nous serions sans doute protégés de tout cataclysme par notre blindage atmosphérique. La comète serait comparable à un brouillard traversé par une locomotive à grande vitesse. »
La folie générale
Les mois suivants, on voit une hystérie collective mondiale prendre forme, entretenue par les médias. Le cyanogène a bien été détecté dans une autre comète (Morehouse) en 1908 et sa présence dans celle de Halley ne fait que peu de doutes. Cela sera confirmé bien assez vite et dans les archives du New York Times, on retrouve un article daté du 7 février 1910 [4] relatant que l’observatoire de Yerkes a, par analyse spectrale, effectivement trouvé du cyanogène dans la comète de Halley. Le journaliste insiste (lourdement) sur les effets d’un tel gaz sur le corps humain avant d’écrire dans une police plus petite que les différents passages de la Terre dans les queues de comète n’a rien donné d’extraordinaire et qu’au pire, le cyanogène serait décomposé dans la haute atmosphère en dioxyde de carbone et diazote.
« La question qui nous intéresse le plus et qui, vraiment, parait passionner, en ce moment une partie notable de l’humanité entière, c’est de savoir ce qui peut résulter de cette position de la comète par rapport à nous. Il n’est pas douteux, en effet, que si la queue cométaire est rectiligne et opposée au Soleil, et si elle a des dimensions normales, elle doit nous atteindre et nous dépasser, de sorte que le globe terrestre tout entier doit y être immergé pendant plusieurs heures. »
« Une explication sur la rencontre de la comète, je vous en supplie à genoux. N’ayant que seize ans, je trouve que mourir le 18 mai, c’est trop tôt. Je n’ai pas fait mon temps, je ne connais rien de la vie. Ayez pitié d’une fillette qui ne peut surmonter sa peur. »
L’astronome s’amuse à nouveau à imaginer ce qui résulterait de l’entrée de ces vapeurs dans l’atmosphère. L’entrée dans l’atmosphère terrestre de ces substances pourraient former des protoxydes d’azote (NOx) avec pour conséquence une anesthésie générale sans réveil. Le cyanogène, C2N2, est un gaz instable composé de carbone et d’azote et dont la densité est plus forte que l’air (1,8) à l’odeur pénétrante. C’est tout bonnement un poison bien efficace. Mais il précise que la densité de ces gaz dans la queue de la comète est proche de zéro.
Au lendemain du passage de la Terre dans la queue de la comète, la Société astronomique de France se demande si la comète a rencontré la Terre car aucun événement ne fut observé ce soir là. Pas d’étoiles filantes, d’aurores boréales ou autres retombées de gaz. Que s’est-il passé ? L’hypothèse avancée alors fut tout simplement que les calculs étaient faux ! La Terre n’a pas traversé la chevelure de la comète ! Les physiciens furent bien embêtés mais il faudra attendre 1981 pour confirmer cette hypothèse ! [7]
Sources :
[1] Ovide, Les Métamorphoses, Livre XV/864-865, Flammarion, page 394.
[2], Suetonius, Divus Iulius, 88
[3] L’Astronomie : revue mensuelle d’astronomie, de météorologie et de physique du globe et bulletin de la Société astronomique de France , 1910-01, page 27 « Rencontre probable de la comète de Halley avec la Terre », 31 décembre 1909
[4] New York Times, Comet’s poisonous tail.
[5] Une brève histoire de la comète de Halley (en anglais), site de Ian Ridpath, astronome et écrivain.
[6] L’Astronomie : revue mensuelle d’astronomie, de météorologie et de physique du globe et bulletin de la Société astronomique de France, 1910-01, « La rencontre de la comète avec la Terre » page 259
[7] L’histoire de la comète de Halley, Sauval, J., Ciel et Terre, Vol. 101, p. 201
Images :
[A] Wikipedia, Halley’s comet (en anglais)
[B] Wikipedia, La comète de César
[C] Wikipedia, Edmond Halley
[D] Wikipedia, Camille Flammarion et son télescope à l’observatoire de Juvisy
[E] Marche de la comète, Op.cit., page 254
[F] Fin du monde, carte de 1910
[G] Fin du monde, carte de 1910 (trouvée sur http://www.delcampe.net)