1229, le Palimpseste d’Archimède

Un petit livre de prières byzantines, écrit en grec et appelé Euchologion, probablement achevé d’être écrit en 1229 à Jérusalem, contient parmi ses 174 feuillets, pas moins de sept traités d’Archimède, dont trois qu’on pensait perdus… C’est ce qu’on appelle un palimpseste.

Les textes cachés

Des œuvres, parfois considérées comme perdues, sont retrouvées au fond de certaines bibliothèques ou sous un autre texte, c’est le palimpseste. Les techniques modernes permettent de révéler le texte si jamais il avait été effacé…

Un érudit (Archimède?) par Domenico Fetti

Les sept traités d’Archimède sont L’Équilibre des plans, Les lignes spirales, La mesure du cercle, De la sphère et du cylindre, Des corps flottants, La méthode des théorèmes mécaniques et le Stomachion. Il n’existe aucune autre copie survivante Des corps flottants en grec – la langue dans laquelle Archimède a écrit – et il n’existe aucune version dans aucune langue de La Méthode des théorèmes mécaniques et du Stomachion. Or tous ces traités sont dans le Palimpseste.

Mais Archimède n’est pas le seul auteur du texte que l’on ait retrouvé dans ce Palimpseste ! On y retrouve aussi des textes d’Hypéride, un orateur du IVe siècle avant J.-C., qui n’était connu que par des fragments de papyrus et par des citations de son œuvre par d’autres auteurs. Le palimpseste d’Archimède contient 10 folios de texte d’Hypéride. D’autres livres ont été utilisés pour constituer le Palimpseste. Quatorze folios proviennent d’un commentaire du troisième siècle, inconnu par ailleurs, sur les Catégories d’Aristote, et 20 autres folios proviennent de quatre autres livres, dont deux n’ont pas encore été identifiés.

Une équipe de scientifiques a utilisé une technique spéciale d’imagerie par rayons X, appelée imagerie par fluorescence X (XRF), pour enfin percer ces secrets scientifiques, cachés depuis l’Antiquité sur un manuscrit en parchemin de peau de chèvre.

Verso du feuillet 57 en lumière visible à gauche, le texte des prières apparaît verticalement ; après traitement à droite, le texte originel apparaît horizontalement.

De Constantinople…

Quand les textes originaux ont-ils été écrits ?

Le manuscrit d’Archimède a probablement été écrit dans la seconde moitié du Xe siècle à Constantinople, un des rares endroits en Europe où les mathématiques anciennes ont été systématiquement étudiées et copiées.

On associe à l’âge d’or byzantin le nom de Léon le Géomètre, polymathe qui enseignait la philosophie et les mathématiques dans la première moitié du IXe siècle. Quelques-uns de ses disciples sont Cometas, un érudit littéraire, Theodegius, un astronome, et Theodore, un géomètre. Deux manuscrits survivants contenant des textes d’Archimède contiennent des inscriptions faisant l’éloge de Léon le Géomètre. Il semble très probable que c’est grâce à son travail que les manuscrits d’Archimède ont été copiés à cette époque. En 1204, la quatrième croisade, autorisée par le pape Innocent III, part pour la Terre Sainte. Cependant, les croisés n’atteignent pas leur but et pillent Constantinople, ville la plus riche d’Europe et qui fût pendant plus de 700 ans, un refuge pour les textes anciens.

…à Jérusalem

Il est fort possible que ce soit à la suite de ces événements que les sept manuscrits d’Archimède, et les autres textes, aient été palimpsestés pour constituer le livre de prières, celui-ci n’ayant pas été réalisé à Constantinople. De nombreuses prières sont spécifiques aux rites de l’Église de Jérusalem et de ses environs immédiats. On ne sait pas exactement ce que faisaient ces rares manuscrits à Jérusalem, ni comment ils y sont arrivés. À cette époque, les voyages entre la Terre Sainte et l’Europe étaient nombreux, notamment en raison des croisades.

En 2002, le professeur John Lowden, du Courtauld Institute of Art de Londres, utilise la lumière ultraviolette et il réussit à déchiffrer, au bas du verso du folio 1 du manuscrit, la date du 13 avril 1229. Il s’agit certainement du jour où le livre de prières a été terminé. Notons qu’en février de la même année, Frédéric II, empereur du Saint-Empire romain germanique libère Jérusalem du contrôle musulman en signant le traité de Jaffa et se fait couronner roi de Jérusalem en mars 1229. Dans de telles circonstances d’instabilité politique, le parchemin, en tant que ressource, aurait pu être très rare, et ce serait l’une des raisons pour lesquelles le scribe du livre de prières aurait recyclé le parchemin des manuscrits antérieurs.

La trace du manuscrit est retrouvée au monastère de Saint-Sabas au XVIe siècle. Fondée en 483 par saint Sabbas, ce monastère fut très tôt un centre intellectuel et spirituel en Terre Sainte. Il est situé à quelques kilomètres au sud de Jérusalem et directement à l’est de Bethléem, en Cisjordanie. La communauté de Mar Saba disposait d’un scriptorium bien organisé pour écrire des livres, dont certains étaient richement enluminés, au moins jusqu’au XIIe siècle, et en 1834, il y avait plus de 1000 manuscrits dans la bibliothèque. Le monastère est spectaculaire et ressemble autant à une forteresse qu’à une maison de Dieu, une nécessité dans les temps troublés auxquels la communauté a été confrontée au cours des siècles.

Reliques de Saint Sabas au monastère Saint-Sabas

Retour à Constantinople

Le livre a probablement été déplacé à nouveau vers 1840 et on le retrouve à Constantinople, dans le Métochion – ou maison-fille – du Saint-Sépulcre. Le bibliste Constantin Tischendorf visite le Métochion au début des années 1840 et écrit un récit de ses voyages intitulé « Voyages en Orient » en 1846. Il dit avoir visité le Métochion, mais n’avoir rien trouvé de particulièrement intéressant, à l’exception d’un palimpseste contenant quelques mathématiques. Tischendorf trouve ce livre très intéressant, et, lors de sa succession, une feuille du Palimpseste d’Archimède est vendue à la bibliothèque de l’Université de Cambridge en 1876.

En 1899, Papadopoulos-Kerameus catalogue les manuscrits ayant appartenu au patriarche grec de Jérusalem, et qui sont conservés au Métochion de Constantinople. Le livre est noté « Ms. 355 » et Papadopoulos rapporte que le livre contient une inscription du XVIe siècle indiquant qu’il appartenait au monastère de Saint-Sabas. Papadopoulos-Kerameus transcrit quelques lignes du texte sous-jacent qui attirent l’attention de John Ludwig Heiberg, alors autorité mondiale sur Archimède. Heiberg reconnait que le texte sous-jacent provient du traité d’Archimède De la sphère et du Cylindre, et qu’il s’agit d’un manuscrit d’Archimède non rapporté auparavant. Heiberg visite le Metochion en 1906 et découvre que ce livre contient sept traités d’Archimède, dont la source unique de La Méthode, du Stomachion et des Corps Flottants en grec.

Heiberg prend des photographies du manuscrit et il incorpore ses découvertes dans une édition entièrement nouvelle des œuvres complètes d’Archimède, qu’il publie entre 1910 et 1915.

En France puis aux Etats-Unis

On ne sait pas comment le Palimpseste quitte le Métochion après qu’Heiberg l’ait étudié pour la dernière fois en 1908. Il réapparaît 90 ans plus tard, lors d’une vente aux enchères chez Christie’s à New York le 28 octobre 1998 où il est annoncé comme provenant d’une collection privée française. La veille de la vente, le gouvernement grec et le patriarche grec émettent une injonction contre Christie’s pour tenter d’arrêter la vente, soutenant que le livre a été volé. L’injonction échoue et la vente a bien lieu. Les dossiers judiciaires relatifs à l’injonction et aux procédures ultérieures montrent clairement que le manuscrit se trouvait dans la collection française au moins depuis les années 1960, et la famille a affirmé qu’il lui appartenait depuis les années 1920. Quoi qu’il en soit, le livre a beaucoup souffert depuis l’époque où Heiberg l’a vu. Après plus de 1000 ans d’obscurité, les dernières pages illisibles des œuvres de l’ancien mathématicien Archimède sont en train d’être déchiffrées, grâce aux rayons X au Centre d’accélérateur linéaire de Stanford (SLAC) du Département de l’énergie. Cette découverte nous offre le témoignage le plus complet des travaux d’Archimède.


Références bibliographiques et webographiques

Pour en savoir plus sur le projet Archimedes Palimpsest, rendez-vous sur www.archimedespalimpsest.org

Sur le site phys.org : Modern Technology Reveals Ancient Science

Le SLAC (Stanford Linear Accelerator Center) et comment les textes sont révélés : Exploratorium | Ancient Writings Revealed!

Pour en savoir plus sur Archimède : Archimedes

Les images sont issues du site Archimedes Palimpsest ou de Wikipedia.

L’image en-avant a été générée avec IA.


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