VIe siècle av. J.-C., Pythagore musicien

monocorde
Monocorde [A]
Après une longue pause sur le blog, je vous propose un petit article sur le thème de l’acoustique et de la musique. De l’observation des monocordes jusqu’à la musique mathématique pythagoricienne, du phénomène de l’écho à la détermination de la vitesse du son, les histoires ne manquent pas. En cette veille de fête de la musique, rendons hommage à Pythagore

Des vibrations

Les anciens savaient déjà que sans l’air, qui de toute part nous enveloppe, nous serions tous plongés dans un silence éternel. Sénèque écrit [1] :

Qu’est-ce que le son de la voix sinon que l’ébranlement de l’air par le choc de la langue ? Quel chant pourrait se faire entendre sans l’élasticité du fluide aérien (sine intensione spiritus) ? Le bruit des corps, des trompettes, des orgues hydrauliques [2], ne s’explique-t-il pas par la même force élastique de l’air ?

Manuel_Domínguez_Sánchez_-_El_suicidio_de_Séneca
La mort de Sénèque [B]
Ainsi, dans le vide, pas de son ni du bruit quelconque. Ce n’est qu’au dix-septième siècle que la proposition de Sénèque fut démontrée et elle le fut par Otto von de Guericke (1602-1686). Attiré par les propriétés de l’air et du vide, il met au point en 1657 une pompe pneumatique destinée à évacuer l’air. A l’aide de cette pompe, il constate que l’air joue un rôle important dans divers phénomènes physiques comme la propagation du son et la combustion [3].

Monocorde et rapports mathématiques

Pythagore
Pythagore [C]
La découverte que tout son est le résultat d’un mouvement de va et vient, d’un mouvement vibratoire remonte donc à l’Antiquité. Un simple fil de chanvre, tendu par les deux bouts et pincé au milieu a pu conduire à cette découverte. Cette expérience du monocorde est le point de départ de la science acoustique. C’est à Pythagore qu’on attribue l’invention de cet instrument bien qu’on le connaissait bien avant lui. En tous cas, il est certain que le philosophe s’en est servi pour établir les bases de doctrines pythagoriciennes.Le monocorde de Pythagore se composait d’une tablette de résonnance, au-dessus de laquelle était tendue une corde attachée à deux chevalets fixes. Cette corde vibrante donnait le ton-règle, le canon, ou l’unisson. Un chevalet mobile permettait de la subdiviser en différentes longueurs. En plaçant ce chevalet exactement au-dessous du milieu de la corde-canon, de manière à la partager en deux parties égales, l’observateur pouvait constater que chaque moitié donne le même son, qui est celui de l’octave au-dessus, et qu’en continuant la division par moitié, on obtient pour le ¼ de la longueur primitive la 2e octave au-dessus, pour le 1/8 la 3e octave, pour le 1/16 la 4e octave, et ainsi de suite. Les sons engendrés ne changent en rien la mélodie d’un air qu’on les fasse entendre simultanément ou successivement. Pythagore appela les octaves dia-pason. Les intervalles des sons fondamentaux (octaves) de l’harmonie sont exactement 1 :2. Quels sons donnent les intervalles qui sont, par rapport à l’unisson (longueur primitive de la corde), comme 2 :3 ? L’expérience donne les quintes. Les quintes forment avec les octaves deux sons qui plaisent à toutes les oreilles : c’est la base de ce qu’on est convenu d’appeler l’accord parfait.Continuer l’expérience donne la quarte pour le rapport 3 :4, la tierce majeure pour le rapport 4 :5 et la tierce mineure pour le rapport 5 :6.La sensation la plus harmonieuse est produite par l’octave, la quinte et la tierce majeure : c’est l’accord parfait majeur. En substituant la tierce majeure par la tierce mineure, on a l’accord parfait mineur, dont la sensation est mêlée d’une certaine langueur ou tristesse.

Canonique, Hamonique et notation

Aristosseno
Aristoxène de Tarente [D]
Le rapport des nombre ayant été érigé par Pythagore en un principe philosophique et astronomique, il est probable que la première notation musicale des Grecs consistait à marquer par des nombres les intervalles de sons. Or, les sons intermédiaires, outre les sons harmoniques, conduisent à des rapports  d’intervalles très complexes et fractionnaires. Ainsi, le système pythagoricien de la notation des intervalles fut combattu par un système de notation des harmonies des sons tels que l’oreille les perçoit. La guerre entre monde sensible et monde mathématique est une des plus vieilles querelle historique. Le système parallèle, qu’on pourrait qualifier de physiologique, fut proposé par Aristoxène, natif de Tarente (sud de l’Italie) [4], qui écrivit plus de 400 ouvrages sur la musique et la philosophie. Ses « Eléments harmoniques » est le plus ancien traité que nous ayons sur la musique des Grecs. On peut donc identifier deux sectes musicales qui se font front à l’époque : les Canoniques, adeptes de la doctrine pythagoricienne et les Harmoniques, suiveurs d’Aristoxène et qui gagneront cette querelle.
Guido_van_Arezzo
Guy d’Arezzo [E]
Je ne sais à quand remonte l’invention de la gamme, la succession des sons qui remplissent les intervalles constitutifs de l’accord parfait. Au sixième siècle de notre ère, sous le pontificat de Grégoire le Grand, et probablement avant son époque déjà, on désignait les sept sons de la gamme par A, B, C, D, E, F et G. A ces lettres de l’alphabet romain furent, vers 1020, substitués les noms, encore aujourd’hui en usage de Ut, Ré, Mi, Fa, Sol, La. Guy d’Arezzo passe pour l’auteur de cette innovation. Les noms adoptés sont les syllabes initiales de l’hymne de Saint Jean-Baptiste, que ce moine bénédictin faisait chanter à ses écoliers :

Ut queant laxis Resonare Fibris,
Mira gestorum Famuli Tuorum,
Solve polluti Labii Reatum,
Sante Johannes.

Mais cette échelle ne compte que six sons, celui qui devait correspondre à la lettre G manque. Ce ne fut, que vers 1684, qu’un nommé Lemaire ajouta le Si aux noms de Gui d’Arezzo. On employa primitivement des points pour marquer, par la variété et leur nombre, les sons graves ou aigus. Ce système prévalant jusqu’en 1330, année où un parisien, nommé De Mœurs, inventa les notes ou caractères musicaux, qui furent dès lors universellement adoptés.

Pythagore sur le fil

Marin_mersenne
Marin Mersenne [F]
Ce n’est qu’au XVIIe siècle que les idées pythagoriciennes refirent surface avec le père Mersenne (1588-1648) qui fit le premier des recherches sérieuses sur les vibrations des cordes à l’aide d’un monocorde divisé en 120 parties. Il trouva, entre autres, qu’une corde d’or d’un demi-pied de longueur et tendue par un poids de trois livres donne 100,5 vibrations ; qu’une corde d’argent de même longueur et de même tension, donne 76,5 vibrations, qu’une corde de cuivre en donne 69,5 , et de fer 66.Galilée (1564-1642), dans ses Dialogues sur la Mécanique, rendit le premier une expérience fort simple , sensibles à la vue des ondes sonores. Ayant glissé le doigt autour du rebord d’un verre dans lequel il y avait de l’eau, il vit se produire des ondes dans l’eau pendant que le verre résonnait. En pressant le verre assez fortement pour élever la résonance d’une octave plus haut, il vit paraître sur l’eau des ondes plus petites et qui coupaient exactement par le milieu chacune des ondes précédentes.Un physicien français, Joseph Sauveur (1653-1716), présente un mémoire devant l’académie des Sciences en 1700 et propose d’utiliser le phénomène des battements pour mesurer la fréquence des sons de façon absolue [5].Newton, les frères Bernoulli, Euler, Riccati et d’autres firent voir que les ondes qui engendrent le son ne diffèrent pas essentiellement des ondes aériennes qui le propagent en le transmettant de proche en proche jusqu’au tympan. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que l’acoustique est devenue une branche entière de la physique.


Sources

[1] Sénèque, Questions Naturelles, livre II, proposition VI.
[2] Vitruve, De l’architecture, tome II, livre X, proposition VIII, traduction nouvelle par M. Ch.-L. Maufras, ed. Panckoucke, page 463, 1847
[3] Rousset A. et Six J., Les physicens de A à Z, Guericke, ed. ellipses poche, page 282, 2014.[4] Wikipedia, Guido d’Arrezo
[5] ] Rousset A. et Six J., Les physicens de A à Z, Sauveur, ed. ellipses poche, page 566, 2014.

Sources image

[A] Monocorde, Wikipedia
[B] Le Suicide de Sénèque, par Manuel Domínguez Sánchez (1871), Wikipedia
[C] Pythagore, Buste (musée du Capitole), Wikipedia
[D] Aristoxène de Tarente, Wikipedia
[E] Enluminure du Moyen Âge représentant Guido d’Arezzo, Wikipedia
[F] Marin Mersenne, Wikipedia

3 Replies to “VIe siècle av. J.-C., Pythagore musicien”

  1. Bonjour, très bon article et blog très bien réalisé . Cependant,G correspond à Sol dans la notation musicale anglo-saxonne, le Si étant désigné par B, la gamme commençant sur le La.

    Source Wikipédia
    « Au vie siècle, Boèce utilisait les lettres de l’alphabet pour désigner les notes dont il parlait, mais commençant toujours à la lettre A, quelle que soit la note : on ne peut pas vraiment parler d’une notation, puisqu’il n’y a aucun lien stable entre les lettres et les notes.

    C’est le Dialogus de musica du début du xie siècle, erronément attribué à Odon de Cluny1, qui fixe à sept le nombre de lettres utilisées, de A à G, pour dénoter l’octave de La à Sol.

    Aujourd’hui, les pays anglophones utilisent les lettres de A à G, la gamme commençant par le C (Do). Les germanophones et certains pays scandinaves et slaves utilisent le H à la place du B (pour le Si français), le B représentant le Si bémol dans leur système.

    En tout cas merci pour cet article qui me permettra de me faire mousser la prochaine que je parlerais musique 🙂

    Bonne continuation.

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  2. Merci pour cet exposé dont l’organisation rigoureuse et claire aide beaucoup.
    auriez-vous des détails sur l’usage de l’échelle……, la gamme…….hexatonique en Europe ; à quelle période et pour quelle genre de musique l’utilisait-on

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